Action de Louis Marie TURREAU
(à travers sa correspondance)
(attention :  ce texte fait 50  écrans et à l'impression, en taille 10 : sans les illustrations : 15 pages, avec les illustrations 26 pages)

Louis Marie Turreau est nommé Général en Chef de l'Armée de l'Ouest en remplacement de Léchelle le 22 novembre 1793. A cette époque, la Grande Armée Catholique et Royale, sous le commandement d'Henri de La Rochejacquelein, après son échec devant Granville reviens vers la Vendée. Ce jour là, elle est à Fougères.

trajet de turreau pour rejoindre son commandement

De Perpignan où il est en poste, Turreau rejoint, non l'Armée de l'Ouest, mais Alençon où il n'arrive que le 10 décembre 1793. Il est passé par Chalons sur Marne (pour affaire de famille) et Paris, mais sans rendre visite au Ministre de la Guerre qui s'en étonne dans une lettre du 12 décembre. D'ailleurs le périple de Turreau pour rejoindre ses troupes est des plus bizarre : d'Alençon, il arrive à Angers le 14 décembre, en part le 23 (en pleine bataille de Savenay), arrive à Rennes le 25, rejoint Nantes le 29 (c'est le 30 que Marceau peut lui remettre le Commandement qu'il assurait par intérim), est à la prise de Noirmoutier le 2 janvier, revient à Nantes le 7 et est le 11 à Angers. Ce n'est que le 15 janvier qu'il établi son quartier général à Saumur et déclenche le plan d'action qu'il a imaginé.

Le 24 janvier (5 pluviose an II) soit 3 jours après le départ des colonnes, de Cholet où il s’est installé en venant de Doué, il informe le Comité de Salut Public de la mise en application de son plan, propose que soient décrétés l'abattage des forêts après leur vente par adjudication et le déplacement de la population républicaine, demande la ratification de ses décisions et de ses méthodes.

Au quartier général à Cholet,

le 5° jour de pluviose l’an second de la république française, une et indivisible. (24/01/1794)

TURREAU, Général en Chef de l’Armée de l’Ouest

aux Législateurs composant le Comité de Salut Public.

Citoyens Représentants

J’ai commencé l’exécution du plan que j’avais conçu de traverser la Vendée sur douze colonnes, Haxo que j’ai prévenu de ce mouvement a divisé ses forces en huit parties qui marchent à ma rencontre et qui viendront bientôt aboutir à mes deux extrémités, ce qui reste de rebelles ainsi cerné, je ne vois pas qu’un puisse échapper, c’est du moins le moyen le plus sur de parvenir à leur parfait anéantissement; mes colonnes de droite et de gauche aux ordres des généraux Debar, Duval, Grignon, Bouqueret, Cordeliers et Moulins ont déjà fait merveilles, pas un rebelle n’a échappé à leurs recherches, une quantité considérable de grains a été découverte et des ordres aussitôt donnés pour les faire filer sur les derrières, ce surcroît de subsistances qu’on ne peut encore calculer offre à l’armée que je commande de très grandes ressources; j’espère avoir aussi bientôt à vous offrir une collection assez intéressante de vases sacrés, ornements d’églises et autres effets d’or et d’argent que l’on a trouvé soigneusement cachés; j’ai recommandé qu’on étende une surveillance particulière sur les armes et les recherches qu’on a faites à cet égard ont déjà eu quelques succès. Enfin, si mes intentions sont bien secondées, il n’existera plus dans la Vendée sous quinze jours ni maisons, ni subsistances, ni armes, ni habitants que ceux qui, cachés dans le fond des forêts auront échappés aux plus scrupuleuses perquisitions.

Car citoyens représentants, je dois vous observer que je désespère de pouvoir incendier les forêts, et si vous n’adoptez la mesure indispensable et unique que je vais vous proposer, elles serviront longtemps d’asile impénétrable à un grand nombre de ces coquins. Il faut que tout ce qui existe de bois de haute futaie dans la Vendée soit abattu, on en peut faire la vente par adjudication à charge de vider le pays dans un temps déterminé. Cette contrée ainsi découverte, la liberté des routes sera bientôt rétablie et nos ennemis anéantis jusqu’aux dernier.

Je vous invite Citoyens représentants à vous occuper au plus tôt de l’Arresté à rendre à cet égard, de la réorganisation des autorités constituées, des indemnités à accorder à ceux dont les habitations sont incendiées, à charge pour eux d’aller habiter une autre contrée, il faut qu’elle soit évacuée en entier par les hommes mesmes qu’on croit révolutionnaires, et qui peut-estre n’ont que le masque du patriotisme.

Vous serez sans doute étonnés de ce qu’il existe encore à faire pour terminer une guerre que depuis trop longtemps on vous a présentée comme une chimère, je sçais combien il est défavorable pour moi d’avoir à combattre des ennemis dont on s’acharne à nier l’existence, mais je ne consulte point ma gloire, l’intérêt public voilà mon guide, quand j’aurai fait à ma patrie, dans le grade que j’occupe, le sacrifice de toutes mes facultés, je serai trop heureux, dut-on prononcer sur ma conduite un jugement défavorable.

Encore un de pris dans nos filets, un nommé Dutriant, capitaine d’un corps de cavalerie de rebelles sera demain fusillé par mes ordres conjointement avec mr Mesleux notaire royal et apostolique de la paroisse de Jallais dont le fils était trésorier de l’armée catholique et qui lui mesme avait coopéré de tout son pouvoir aux succès de ses saintes armes, ils ont reconnus avoir fait partie des rebelles.

Voilà Citoyens représentants la troisième lettre que je vous écrit sans obtenir de réponse, je vous prie de vouloir bien me dire si vous approuvez mes dispositions et m’instruire par un courrier extraordinaire des nouvelles mesures que vous adopteriez afin que je m’y conforme aussitôt

Salut et fraternité

Je ne puis que vous donner ici l’extrait de mes idées sur les opérations à faire dans la Vendée, j’attends les représentants du peuple qu’il est indispensable d’envoyer pour leurs en communiquer tous les détails.

Le 31 janvier (12 pluviose an II) toujours de Cholet, il adresse une lettre au Ministre de la Guerrre dans laquelle il décrit les opérations des 10 jours précédents, il se félicite que ses subordonnés aient bien secondé ses intentions et justifie les mesures qu’il a prises.

Le général Turreau au ministre

Les généraux chargés de conduire les diverses colonnes ont assez bien secondé mes intentions; elles ont passé au fil de la baïonnette, tous les rebelles épars qui n’attendaient qu’un nouveau signal de rébellion.... On a incendié métairies, villages, bourgs; tous ces endroits étaient remplis de pain qu’on paraissait cuire à l’avance pour substanter, à son passage, I’armée catholique.

On ne peut concevoir l’immensité de grains et de fourrages qu’on a trouvés dans les métairies et cachés dans les bois. J’ai donné les ordres les plus précis pour que tout soit enlevé de ce maudit pays et porté dans les magasins de la République. Il en est parti ce matin pour Saumur un convoi tenant près de deux lieues de long et je puis vous attester avec vérité que les ressources qu’offrent les découvertes que font journellement mes colonnes sont incalculables; elles seraient encore plus considérables, si les préposés aux subsistances et les commissaires des districts avaient mis plus d’activité dans leurs opérations.

Je continue à cerner le reste des rebelles aux ordres de Charette. La Rochejaquelein et Stofflet, avec une poignée de coquins, ont filé entre deux de mes colonnes, il y a quelques jours; ils ont rodé sur mes derrières, interrompu mes communications, et sont rentrés, dit-on, dans la ligne.. ...

 

Les renseignements que j’ai pris n’ont fait que confirmer l’opinion que j’avais sur la guerre de la Vendée. Je me suis convaincu qu’elle n’était point finie, et qu’il fallait encore de grandes mesures pour la terminer.

Haxo vient à ma rencontre sur plusieurs colonnes; il connaît mes dispositions, les seconde parfaitement, et j’ai lieu d’espérer que tous les corps de rebelles seront dissous, encore plus par l’impossibilité de subsister, que par la force des armes.

Je commence à réunir une très grande quantité d’argenterie, et je me dispose à vous l’adresser avec la liste des officiers qui m’ont remis généreusement ces divers objets.

On assure que Charette est plus blessé que l’on ne pensait.

J’écris au Comité de Salut Public, je lui dis la vérité sur l’état de ce pays, il apprendra pour la première fois la vérité toute nue.

Le même jour il écrit au Comité de Salut Public. Il accuse de mensonge ses prédécesseurs, amplifie l’importance de son ennemi, justifie la poursuite des opérations en demandant à nouveau une approbation de son plan.

Le général Turreau au Comité de Salut Public

J’espérais, il y a huit jours, pouvoir sous peu disposer d’un certain nombre de troupes pour une autre armée; je calculais, d’après les données différentes des officiers généraux, sur la faiblesse des moyens et des ressources de nos ennemis .... La guerre de la Vendée était, disait-on, finie, les brigands anéantis sur la rive droite de la Loire, le corps commandé par Charette entièrement dispersé. Westermann, après avoir détruit jusqu’au dernier des quatre vingt mille combattants, avait du terminer ses exploits par la mort de La Rochejaquelein; j’étais loin cependant de croire à tant de victoires. Les mesures que j’ai résolu de prendre étaient la preuve de ma juste incrédulité. Les renseignements que j’ai pris n’ont fait que justifier mes pressentiments, et je suis fâché d’être obligé d’accuser du mensonge le plus impudent ceux qui ont osé vous tromper ainsi .... Quant à moi, je dois à la vérité de vous dire qu’il existe encore des rassemblements nombreux, à la tête desquels sont La Rochejaquelein, Stofflet et Charette; ce dernier, qui n’a été que légèrement blessé à l’épaule, commande, dit-on, une horde de trois mille hommes assez mal armés ... Croyez que, si l’on retirait les forces qui me sont nécessaires pour exécuter le plan que j’ai conçu, cette guerre renaîtrait au printemps, et le projet des chefs était bien d’employer l’hiver à se reposer. Sous ce rapport, je suis loin de craindre que ces rassemblements se joignent et forment une masse imposante, alors je serais sûr de les trouver, de les battre et de les écraser ;... mais au contraire, disséminés comme ils le sont, il est infiniment difficile de les poursuivre, encore plus de les atteindre par la connaissance parfaite que ces coquins ont du pays : ils échappent à la surveillance la plus active, se cachent aux fonds des forêts, filent imperceptiblement entre les colonnes, et viennent inquiéter nos derrières. Changés en voleurs de grand chemin, les routes étant interceptées, la correspondance devient infiniment difficile .. .J’ai pris toutes les précautions nécessaires pour qu’ils ne puissent obtenir le plus léger succès. Il faut craindre de redonner du courage à leur parti. J’ai défendu qu’on place aucun poste écarté, facile à battre partiellement .... J’ai renvoyé sur les derrières tous les canons; je n’en ai laissé qu’aux postes capables d’en assurer la conservation.

Nos colonnes continuent toujours leur marche; j’ai fait passer au fil de la baïonnette tous les rebelles épars qui n’attendaient que le nouveau signal de !a rébellion. On a incendié les métairies, les villages, les bourgs; elles étaient remplies de pain qu’on paraissait cuire à l’avance pour substanter, à son passage, I’armée catholique (et l’on disait qu’ils étaient dénués de tout, tandis qu’ils n’eussent manqué de rien sans les mesures que j’ai prises !...).

On ne peut concevoir I’immensité de grains et de fourrages qu’on a trouvés dans ces métairies et cachés dans les bois. J’ai donné les ordres les plus précis pour que tout soit enlevé de ce maudit pays et porté dans les magasins de la République. Il en est parti ce matin un convoi tenant plus d’une lieue et demie, et je puis vous attester que les ressources qu’offrent ces découvertes sont incalculables; elles seraient encore plus considérables, si les préposés aux subsistances et commissaires de district avaient mis plus d’activité dans leurs opérations.

Haxo vient à ma rencontre sur plusieurs colonnes; il connaît mes dispositions, les seconde parfaitement, et j’ai lieu d’espérer qu’enfin tous les corps de rebelles seront dissous encore plus par l’impossibilité de subsister, que par la force des armes.

Il résulte de ces détails qu’il m’est impossible de disposer aussitôt d’autant de troupes que je l’avais pensé.... Malgré les trois brigades que j’ai envoyées à Rossignol, il me demande encore quatre mille hommes pour une expédition importante; je ne puis accéder à sa demande, je ne connais rien de plus important que le plan qui doit terminer la guerre de la Vendée.... Elle n’est point finie cette malheureuse guerre. Je vous l’avais bien dit qu’il existait encore de grands coups à porter.

Gardez-vous surtout, Citoyens Représentants, de croire que je puisse chercher à prolonger le pouvoir dont vous m’avez investi. L’intérêt public est mon unique but et si tout autre que moi peut être plus utile au poste que j’occupe, je renoncerai sans peine à un grade que je n’ai point demandé, et dont je n’ai jamais plus senti les désagréments qu’aujourd’hui. L’éloignement des représentants en est une des principales causes....

J’ai été contraint, dans une opération aussi importante, de tout prendre sur ma responsabilité; je n’ai pas même eu l’avantage de recevoir votre approbation, et je compromettrais la réussite de mon projet, si j’attendais pour agir que je l’eusse obtenue... Cruelle alternative !... mais qu’importe, j’ai fait ce que j’ai cru devoir faire; ma conscience n’a rien à se reprocher, et je ne doute point que vous ne rendiez justice à la pureté de mes intentions.

Au moins, Citoyens Représentants, répondez à cette dépêche. Faites-vous représenter mes précédentes lettres, jugez de ma position, de celle du genre d’ennemis que j’ai à poursuivre et donnez-moi les conseils dont j’ai le plus pressant besoin.

Je commence à réunir une grande quantité d’argenterie; je me dispose à vous l’adresser avec la liste des officiers qui m’ont remis généreusement ces divers objets.

J’apprends à l’instant que la blessure de Charette l’a forcé à rester caché dans une métairie; je vais tout faire pour le découvrir.

 

Le 3 février (15 pluviose an II) de Montaigu où il est arrivé le 1er, il informe le Ministre de la défaite de Chauché (en la minimisant), ainsi que des opérations de Duquesnoy et de Cordellier contre Charette.

Le général en chef au ministre

L'ennemi chassé de toutes parts par mes colonnes, avait osé s'emparer de Tiffauge que j'avais le projet de faire occuper comme poste important, quoiqu'à moitié brûlé. Tiffauge se trouvait sur la route que devait tenir la colonne du centre que je commandais immédiatement. L'ennemi, qui avait coupé le pont sur la Sèvre paraissait vouloir faire une vigoureuse résistance que sa position rendait facile, et déjà il avait lâché quelques coups de fusil à mon avant-garde lorsque je fis approcher un obusier d'artillerie volante. Une vingtaine d'obus jeta bientôt la terreur parmi ces coquins, et Ie général Robert, à la tête de quatre vingts grenadiers, entra de suite dans la place. C'est un poste que je fais occuper comme très important pour assurer une des communications de l'intérieur

Pendant que cela se passait à la colonne du centre, le général de brigade Grignon, qui commande une des colonnes de gauche, alors à Saint Fulgent fit sortir mille hommes sur deux colonnes pour attaquer l'ennemi. Les deux colonnes devaient attaquer en même temps. L'une d'elles attaqua trois heures plus tard qu'elle ne devait le faire et fut mise en déroute, l'autre obligée de se replier. Nous n'avons perdu qu'une vingtaine d'hommes; mais cet échec m'afflige d'autant plus qu'il est une preuve du peu de subornation de quelques officiers qui veulent toujours raisonner les ordres au lieu de s'y conformer exactement.

Le citoyen Prévignaud, adjoint au général Duval avait reçu de moi l'ordre de joindre sa colonne à celle du général Grignon et avait différé ce mouvement. L'officier qui commandait une des colonnes a attaqué beaucoup plus tard que ne portait l'ordre du général Grignon; voila la cause de cet événement. J'ai mandé ces deux officiers pour me rendre compte de leur conduite et je les livrerai à la commission militaire.

L'adjudant général Desmarres accusé de lâcheté avait reçu de moi les arrêts forcés à Angers. Traduit à la commission militaire il a été condamné à la guillotine. Quelques exemples comme celui là ramèneront à leurs devoirs les officiers qui oseront s'en écarter. Je dois te dire citoyen ministre que le général Grignon n'a point de tort dans cette affaire dont il avait fait seulement les dispositions.

Le général Duquesnoy m'a rejoint; il commande une partie de la division détachée de l'armée du Nord; le général divisionnaire Cordellier commande l'autre. Ils marchent l'un et l'autre sur Charette tandis que des postes d'observation très forts l'empêchent de passer sur différents points. Je le crois cerné, mais je ne répondrais pas qu'il n'échappât. Il a avec lui un peu plus de quatre mille hommes.

Je compte aller sous peu à La Rochelle, tu sais qu'il manque beaucoup d'artillerie à cette place.

Le 9 février (21 pluviose an II) de Nantes il relate ce qui s’est passé à Cholet en minimisant la déroute des troupes, en exaltant le courage de Moulins et en transformant l’arrivée de la colonne de secours en grande victoire, il en profite pour fustiger les traîtres. Comme dans les correspondances antérieures, il accuse ses prédécesseur et justifie son plan de destruction. En post scriptum, il met en garde contre d’autres sources d’informations que lui même (il s'agit pourtant d'un Représentant en mission).

en tête de lettre

le 21ème jour de pluviose de l’an second de la République Française, une et indivisible.

Turreau, Général en chef de l’Armée de l’Ouest

aux Législateurs composant le Comité de Salut Public

Citoyens Législateurs

Les rassemblements des brigands devenant chaque jour plus nombreux et plus inquiétants par leur audace, j’ai cru devoir diminuer le nombre de mes colonnes et de mes postes pour renforcer les uns et les autres; les routes étant pour la plupoart coupées par des partis de brigands, la correspondance devenant de jour en jour plus difficile.

J’avais quitté Cholet, après y avoir laissé une quantité suffisante de troupes pour le deffendre, un général sur le courage, les talents et l’activité duquel j’avais lieu de compter.

J’étais parti de Cholet à la tête de la colonne du centre et j’avais, comme je l’ai mandé au ministre, attaqué et repris Tiffauges. Arrivé à Montaigu, je remis au général Duquesnoi le commandement de cette colonne qui, secondée d’un côté par l’adjudant général Dufour, de l’autre par les généraux Haxo et Dutrui devait poursuivre sans relache l’armée de Charette que le rapport du général de Bar portait à près de 10.000 hommes, à qui surtout la position avantageuse du bocage prestait de nouvelles forces.

Après avoir donné aux différents chefs de colonnes les instructions qui se sont trouvées conformes à l’arresté que vous m’avez envoyé et qui n’était qu’une conséquence de la loi du mois d’août, je m’estait rendu momentanément à Nantes où m’appelaient plusieurs opérations relatives à la deffense des costes et aux autres points de mon commandement, et lorsque j’ai cru plus convenable de faire parvenir par Montaigu une grande partie des subsistances, plus sur d’établir par cet endroit ma correspondance avec les généraux, j’ai résolu de fixer à Nantes mon quartier général.

En quittant Cholet, poste très mauvais et que j’aurais déjà bruslé s’il n’avait été réservé par un décret de la Convention nationale, j’avais suffisemment pourvu à sa sûreté; le brave général Moulins le jeune chargé de commander les cinq mille hommes qui s’y trouvaient stationnés méritait toute la confiance que j’avais en lui, je scavais qu’il ne quitterait le poste qu’avec la vie.

La marche des rebelles sous les ordres de la Rochejaclin du côté de cette ville me causait néanmoins la plus grande inquiétude, l’exemple de la lacheté de quelques bataillons me faisait craindre l’effet de la terreur qui semble précéder les pas des brigands. Malgré les troupes préparées à leur résister, j’ordonnai au général Cordeliers alors à Tiffauges de se porter sur le champ à Cholet avec deux mille hommes de l’Armée du Nord.

A une lieue de cet endroit, Cordeliers vit toutte la division de Moulins en déroutte complette poursuivie sur la route de Nantes par quelques milliers de brigands en grande patie sans armes qui avaient eu l’audace de fondre sur un poste garanti par tant de forces; tout allait être en leur pouvoir, munitions de guerre et de bouche, lorsque les troupes du Nord précédées par les chassseurs francs, fondant sur ces coquins avec la rapidité de l’éclair les contraignirent bientôt à ne songer qu’à fuir, rien alors ne put les faire échapper à la vengeance des soldats dignes de porter le nom républicain, on a fait de ces scélérats une si grande boucherie qu’on n’a pas pu compter le nombre des morts.

Cette victoire on ne peut plus importante a cependant coûté bien cher à la république par la mort du général de brigade Moulins le jeune, je le pleure bien moins comme mon ami que comme un des plus braves soldats, des plus habiles officiers, et des plus purs républicains qui existent.

Indigné de la lascheté de ses troupes, Moulins fait de vains efforts pour les rallier, se précipite au devant de l’ennemi pour les encourager par son exemple; il est atteint d’une balle et prêt à tomber entre les mains des brigands, se fait sauter la cervelle du dernier coup de pistolet qui lui restait à tirer... Je ne doute point que la Convention Nationale ne sache apprécier cet acte d’héroïsme; mais les masnes du courageux Moulins appellent la vengeance des lois contre les lasches qui ont fui dans cette mémorable journée, et si l’on ne punit pas de mort les officiers qui auront pu donner l’exemple de cette déroute, je n’aurai plus de soldats sur lesquels je puisse compter...

L’intérêt public exige, Citoyens représentants, que la Convention nationale décrète sur le champ que Cholet, malgré le patriotisme de ses habitants, ne sera point exepté de l’incendie général. Ce poste est si mauvais qu’on en peut répondre mesme avec des forces supérieures à celles de l’ennemi.

Mortagne, dans une position heureuse deviendra le point central des opérations de la Vendée.

Je ne calcule point les intérêts particuliers lésés par cette mesure, la république est en état de dédommager les patriotes de la perte de leurs propriétés... Je le répète, tant que Cholet existera, il sera le théâtre des incursions des rebelles et le tombeau de nos soldats. Combien n’eussent pas péri dernièrement sans l’ordre que la prudence m’engagea de donner à la colonne de Cordeliers.

Aujourd’hui qu’une triste expérience m’a mis à portée de juger du nombre des rebelles qui existent encore, je dénonce formellement à la Convention Nationale les ignorants, les fripons, les intrigants et les traitres qui n’ont cessé de la tromper sur la véritable situation de la Vendée, qui ont fait diminuer par leurs faux rapoports les secours destinés à rétablir le calme dans cet abobinable pays.

J’avais raison de dire depuis lontems que la guerre de la vendée n’était qu’assoupie, qu’elle serait devenue plus terrible que jamais si on ne fut empressé d’adopter de grandes mesures, il faut encore passer 20.000 de ces scélérats au fil de la bayonnette. Je ferai tout pour terminer, mais j’ai le plus grand besoin pour y parvenir du concours de représentants du Peuple qui veuillent bien m’aider de leurs conseils et de leur autorité.

Le désarmement s’exécute, les subsistances abondent dans nos magasins, sans la négligence des employés, les intentions du Comité de Salut Public eussent été bien mieux secondées.

J’ai reçu avec plaisir l’approbation que vous avez donné aux mesures que j’ai prises, rien ne pourra jamais altérer mon attachement à la cause sacrée que j’ai résolu de déffendre jusqu’à la mort.

Salut et fraternité

La marche de mes colonnes depuis Douai a détruit plus de 6.000 brigands avant qu’il fut nécessaire de changer de mesure pour s’opposer à leurs nouveaux rassemblements.

Le citoyen Francastel m’apprend à l’instant qu’il a instruit le Comité de Salut Public de différents faits allarmants; je suis surpris qu’il n’ait pas cherché à s’instruire de la vérité des détails qui lui étaient donnés par des hommes qui certainement n’étaient pas aux différentes affaires qui ont eu lieu. S’il m’avait écrit plutot, je lui aurais appris que Chollet occupé par les rebelles avait été une heure après leur tombeau, que l’échec éprouvé par Carpentier que j’avais chargé d’occuper le poste de Vihiers pour entretenir la communication avec Saumur n’avait aucune influence désaventageuse.

Le citoyen Francastel paraît douter des précautions que j‘ai prises pour assurer la rive droite de la Loire, j’ai remis à cet égard au général Kléber des instructions assez précises pour oter toute inquiétude. Quant à la rive gauche, je n’ai cru devoir conserver que le poste de Saint Florent, et il est assuré.

Si l’on peut me faire d’autres reproches j’y répondrai si vous croyez qu’il puissent mériter que j’y fisse attention

P.S. Lorsque ma présence fut nécessaire à la rive droite de la Loire dans le temps qu’on poursuivait les brigands de ce côté, quoi qu’on me dit alors qu’il n’y avait aucuns rassemblements dans la Vendée, je pris toutes les précautions possibles pour assurer les postes qui y étaient, et j’y serais entré beaucoup plus tôt, si comme je m’en suis plains, on eut pas fait faire à la colonne du Nord un très grand détour fort inutile... Le fait est qu’on vous a trompé longtems et qu’on m’a trompé moi mesme sur la situation des rebelles mais actuellement j’ai vu et j’agis.

Le même jour il adresse au Ministre de la Guerre un compte rendu moins détaillé en ajoutant :

Je dénonce à la Convention Nationale, à la France entière, les généraux perfides qui ont osé dire, faire imprimer même qu'il n'y avait plus de Vendée; et moi je soutiens que cette guerre n'est pas finie, et qu'il y a encore trente mille brigands à détruire.

Tu n'apprendras pas sans indignation, citoyen ministre, que cinq mille soldats, qui se disent républicains, ont fui devant quatre mille brigands qui n'étaient pas tous armés… Tu voudras bien transmettre cette lettre à la Convention.

Enfin, ce même jour, 9 février, soit 20 jours après le début des opérations, Turreau reçoit du Comité de Salut Public, signé par Carnot le 6 février, l'aval sans approbation formelle de son plan

en tete de lettre

Tu te plains de n’avoir pas reçu du comité l’approbation formelle de tes mesures. Elles lui paraissent bonnes et tes intentions pures; mais, éloigné du theâtre de tes opérations, il attend les grands résultats pour prononcer dans une matière sur laquelle on l’a dejà trompé tant de fois, aussi bien que la Convention nationale.

Les intentions du Comité ont du t’être transmises par le ministre de la guerre.

Nous nous plaignons nous-mêmes de recevoir trop rarement de tes nouvelles. Extermine les brigands jusqu’au dernier, voila ton devoir; nous te prescrivons surtout de ne pas laisser une seule arme à feu dans les départements qui ont participé à la révolte et qui pourraient s’en servir encore. Armes-en les soldats de la liberté.

Nous regarderons comme traîtres tous les généraux et tous les individus qui songeraient au repos, avant que la destruction des révoltés soit entièrement consommée. Encore une fois, recueille toutes les armes et fais passer ici sans délai toutes celles qui ont besoin de réparations. Nous t’envoyons un arrêté qui paraît propre à seconder tes vues.

Le comité délibérant sur la situation actuelle de la Vendée arrête :

Article 1er. Il sera proposé à la Convention nationale de décréter que tous les citoyens qui ont participé à Ia révolte de la Vendée, seront tenus de déposer, sous vingt quatre heures, leurs armes a feu de quelque espèce qu’elles soient, et qui ne font point partie des troupes soldées, entre les mains des agens nationaux, et ceux-ci entre celles de l’autorité militaire, dans l’espace d’une décade; les citoyens ou agens nationaux, réfractaires à cette loi, seront punis de mort par une commission militaire.

II. Chaque bataillon conservera une seule pièce de canon, on fera passer toutes les autres dans les places fortes. Il sera reservé seulement un quart au plus de l’artillerie légère et de celle de position; un autre quart sera renvoyé sur les derrières de l’armée, dans Ies places fortes, et tout le reste sera envoyé sans délai à l’armée des Pyrénées-Occidentales.

III. Les ennemis seront poursuivis sans relache jusqu’à leur entière destruction. Les généraux qui ne mettraient pas dans cette expédition toute l’activité possible, seront dénoncés comme ennemis de la patrie. Les subsistances seront saisies partout et envoyées aux armées et dans les places fortes; il en sera de même des bestiaux et des chevaux propres au Service des troupes et de tout ce qui peut être utile à leur entretlen.

IV. Il sera proposé à la Convention nationale de faire remplacer Carrier qui demande son rappel, par un autre représentant. Prieur de la Marne sera chargé de le remplacer. Le rapport sur la conduite de Westermann sera fait dans le plus court délai.

nouvelles limites du secteur insurgé

Le 10 février (22 pluviose an II) il envoie aux généraux l’ordre d’application de l’Arrêté du C.S.P.

Il est ordonné à tous les généraux, officiers supérieurs, chefs de colonnes, commandants des corps stationnés dans différents points du commandement de l’armée de l’Ouest, de désarmer sur le champ toutes les communes comprises dans le cercle formé par les places de Saint Gilles, les Sables, Luçon, Niort, Airvault, Thouars, Saumur, et depuis Saumur jusqu’à Nantes, toute la rive gauche de la Loire, et depuis Nantes jusqu’à Saint Gilles, tous les points de la circonférence exceptés. Dans l’étendue du pays soumis au desarmement, il ne doit rester d’armes qu’aux soldats de la République.

Le présent ordre sera exécuté sous la responsabililé de ceux à qui on l’adressera.

Le théâtre des opérations est élargi à des zones qui n’avaient pas pris part au soulèvement.

A Paris, les rapports de Turreau inquiètent la Convention et dans la séance du 12 février, Barrère, fait, au nom du Comité de Salut Public, un rapport dans lequel il précise :

Le comité se reposait surtout, pour les mesures à l'intérieur de la Vendée, sur l'esprit et les termes des décrets qui ordonnent de détruire et d'incendier les repaires des brigands, et non pas les fermes et les demeures des bons citoyens.

Il espérait surtout que l'armée de l'Ouest s'occuperait bien plus de détruire le noyau des rebelles que de sacrifier les habitations isolées, les fermes utiles et les villages fidèles ou non dangereux.

Mais lorsque le comité a voulu vérifier les faits et connaître quelle était la véritable exécution donnée à ses arrêtés, quel a été son étonnement de voir des forces morcelées dans la Vendée; des rassemblements de brigands se reformer et se grossir de tous les mécontents que la barbare et exagérée exécution des décrets avait formés de nouveau dans un pays qu'il ne fallait que désarmer, garnisonner de cavalerie, repeupler d'habitants fidèles et administrer avec le bras nerveux d'une administration militaire et révolutionnaire …

L'arrêté pris en suivant nomme Hentz et Garrau représentant auprès de l'Armée de l'Ouest où se trouve déjà Francastel.

Le même jour 12 février (24 pluviose an II) de Saumur où il est revenu Turreau répond à une demande d'explications de Francastel. Il souligne ses succès et rejette les échecs sur d'autres. Il reconnaît que son ordre de tout incendier et de tout massacrer a été strictement exécuté. Il assure que ses mesures ont reçu l'approbation du Comité de Salut Public.

en tete de lettre

Je vous dois compte de l’exécution du plan que j’avais formé pour purger la Vendée du reste des brigands qui l’infestaient.

Trompé, comme vous, sur le véritable état de la Vendée, j’étais loin de penser que les brigands dont on avait tant de fois annoncé la destruction à la barre de la convention Nationale fussent en état d’opposer la moindre résistance à la marche imposante de mes colonnes; je ne devais pas m’attendre non plus, d’après les instructions particulières que j’avais donné aux officiers généraux ou supérieurs chefs de ces colonnes que l’ennemy parviendrait à se glisser entre elles et viendrait inquiéter mes derrières. Je ne devais pas, d’après les ordres positifs que j’avais donnés craindre cette trouée, et en conséquence je n’avais pu former ma seconde ligne que de troupes de première réquisition, ayant réparti tous les bataillons anciens et aguerris dans les colonnes agissantes.

Je commandais immédiatement la colonne du centre et je m’étais porté le 2 à chollet d’où je pouvais plus facillement voir les opérations des colonnes marchantes sur ma droitte et sur ma gauche et entretenir avec les officiers qui étaient à leur tête la correspondance la plus active. Cette position avait cet autre avantage de me maitre à portée de donner de prompts et puissants secours à celles qui se trouveraient attaquées par des forces supérieures.

Vous avés vu par mon plan général que les chefs des colonnes avaient reçu l'ordre de tout incendier et de passer au fil de la bayonnette tous ceux qui partageaient ou qui avaient pris part à la rébellion.

Cet ordre fut strictement exécuté et toutes les colonnes se trouvèrent le huit pluviose à la même hauteur que celle du centre stationnée à Chollet et formant ensemble une espèce de ligne de bataille embrassant seize lieues de pays.

Jusques la, rien n’avait interrompu les opérations des chefs de colonnes, on avait tout brullé, tout sacrifié à la vengeance nationale; mais à cette époque, un parti d’environ quatre cents brigands dont tout au plus cent cinquante d’armés vint à persser entre deux des colonnes de droitte, soit à la faveur de l’obscurité, soit par déffaut d’exactitude dans le service de la part des flanqueurs, tombât sur Chemillé. Ce poste était occupé par trois détachements formant ensemble six cents hommes, l’un du bataillon de la réunion, l’autre des deux sèvres et le troisième dit Le Vengeur. Ces détachements prirent lâchement la fuite et abandonnèrent leur poste sans bruller une amorce. Le général en chef manda sur le champ, le commandant, lui ordonna d’indiquer les principaux auteurs de cette déroute et le menaça, faute de le faire, de le traduire lui-même à la commission Militaire. Cependant, ne pouvant avoir aucune confiance ni dans le commandant, ni dans les troupes de Chemillé où les ennemis n’avaient oser rester, le général le fit évacuer et bruller.

Les rassemblements des brigands devenant plus nombreux en avant des colonnes, le général crut devoir les resserrer et en diminuer le nombre pour en augmenter la force, opération qui d’ailleurs était commandée par la localité.

Les colonnes au nombre de huit se mirent en mouvement, marchant toujours à la même hauteur, et d’après les instructions portées dans l’ordre général, celle du centre se dirigeant vers Tiffauges, poste important et alors occupé par les brigands qui bientôt l’abandonnèrent effrayés par quelques coups de canon et d’obusier; on rétablit le pont qu’ils avaient coupé et depuis cette époque on est parvenu à assurer la communication par l’intérieur entre Chollet et Nantes.

Pendant que l’on attaquait et que l’on prenait Tiffauges, l’avant garde des colonnes de droite (celle du général Cordellier) se trouve coupée avec son corps d’armée par un parti de brigands aux environs de Jetté (en fait Gesté) pays très couvert; la bonne contenance de cet avant garde ne permit pas aux brigands de l’entamer, mais trompée par ses éclaireurs ou ses guides, au lieu de rejoindre le corps d’armée, elle arriva à Nantes et la malveillance toujours active, toujours empressée à dénaturer les faits, répandit le bruit que les troupes républicaines étaient en déroute complète, cependant l’avant garde qui n’avait pas même été entamée, escortée de guides sûrs rejoignit le lendemain sa colonne.

Le même jour deux colonnes de gauche (celles du général Grignon) se trouvèrent réunies. Instruit qu'un rassemblement considérable de brigands était dans son voisinage, Grignon crut devoir les faire attaquer par deux détachements de cinq cents hommes chacun, cette attaque qui devait être simultanée manqua par la faute d'un des chefs qui attaqua trois heures plus tard que ne portait l'ordre, et ces détachements furent obligés de se replier sur Chantonnay.

Le général en chef n'avait pas ordonné ce mouvement, mais il a demandé que le commandant du détachement qui ne s'était pas conformé à l'ordre vint lui rendre compte de sa conduite.

Cependant, les rassemblements devenaient journellement plus considérables. Charrette enfoncé dans le bocage se trouvait suivant tous les rapports à la tête de huit à dix mille hommes. La Rochejaquelin qui s'était échappé du Loroux poursuivi par les colonnes combinées de Cordellier et de Croussat se jeta dans les bois de Mortagne et de Chollet et vint une seconde fois inquiéter sur leurs derrière les colonnes de droite, tandis que Charrette tenait tête aux colonnes de gauche. Le quartier général était alors à Montaigu.

La difficulté d'assurer la correspondance entre les différentes colonnes agissantes, la nécessité de changer le plan primitif d'après les rassemblements nombreux et inattendus de l'ennemy, firent porter le quartier général à Nantes où aboutissaient directement tous les points de communication et d'où la correspondance pouvait parvenir aux officiers généraux d'une manière assuré./

Le général en chef ordonna au général de division Duquesnoy de se porter dans le beaucage avec la majeure partie de la division détachée de l'Armée du Nord et d'y poursuivre sans relâche le corps de brigands commandé par Charrette, tandis que de forts postes d'observation répartis à La Roche sur Yon, La Motte Achar et autres endroits environnant le tiendrait en échec.

Il ordonna en même temps au général de division Cordellier qui commandait l'autre partie de la division détachée de l'Armée du Nord de s'attacher à la Roche Jaquelin et de le poursuivre partout sans lui donner un moment de repos.

Alors Chollet fut menacé; le général qui en fut instruit en avait porté la garnison à plus de cinq mille hommes et en avait donné le commandement à un des plus braves et des plus instruits de tous les officiers de l'armée. Cependant, non content de ces dispositions qui devaient lui assurer le succès de l'affaire dans le cas où l'ennemi aurait l'audace d'attaquer cette ville, il donna ordre le 19 aux généraux Cordellier et Boucret de se porter le lendemain sur Chollet, celui-ci avec mille, celui-là avec deux mille hommes.

Chollet fut effectivement attaqué le vingt et environ trois mille brigands dont à peu près la moitié avait des fusils avaient mis en déroute complète toute la garnison de cette ville et la poursuivait vivement sur la route de Nantes. Cordellier arrive, sa fermeté et la bonne contenance de ses troupes change bientôt la face des choses, il attaque les brigands, les repousse, les chasse de Chollet dont ils s'étaient emparé et les poursuivant jusqu'à une lieue de la ville, il en fait un grand carnage et remporte une victoire signalée.

Quelques fuyards que la terreur avait porté jusques à Angers y jettent l'alarme, annoncent que Chollet est au pouvoir de l'ennemi et que l'armée républicaine est toute détruite et dispersée.

Ces bruits étaient accrédités par la retraite d'un poste établi à Vihiers et qui, attaqué la veille par des forces supérieures avait été obligé de se replier sur Doué sans cependant éprouver aucune perte.

Le même jour, vingt, le poste de Leger que sa position rend très fort, fut attaqué par huit cent brigands. Sa garnison était de huit cents hommes soutenus de deux pièces de quatre et cependant Leger a été emporté sans qu'on ait brûlé une amorce. Ce poste a été repris le lendemain par les troupes de la République.

Le Général en Chef a deffendu plusieurs fois qu'on laissât des pièces de canon dans l'intérieur de la Vendée, excepté dans les postes où leur conservation fut assurée, mais le général Haxo qui commande dans cette partie et qui connaissait le peu des moyens des brigands qui pourraient attaquer ce poste était loin de s'attendre qu'il soit emporter.

Le Général en Chef n'a point de nouvelles ultérieures des colonnes agissantes et des postes d'observation. (Il instruira journellement les représentants du peuple près cete armée des évènements qui auront lieu) Il établi son quartier général à Nantes comme le point d'où il peut plus aisément donner ses ordres et exercer sa surveillance sur toutes les parties de l'intérieur et des côtes dont le commandement lui est confié.

Le général croit devoir prévenir les Représentants du Peuple près cette armée que le départ de la majeure partie de la Division détachée de l'Armée du Nord retardera beaucoup l'effet de ses opérations , ce départ est ordonné au moment même où elle vient de remporter une victoire et poursuivait les brigands. Les ordres du ministre sont si précis que le général dû les exécuter sans délay.

(Au surplus, il emploiera toujours pour terminer cette exécrable guerre, les mêmes mesures qu'il a prises jusqu'ici et qui lui ont mérité l'approbation du Comité de Salut Public.)

Les représentants du peuple se sont plains avec raison que le général en chef n'entretenait pas avec eux une correspondance assez suivie. Le général observe que c'est sa marche dans la Vendée qui a rétabli les communications, que jusque là la correspondance n'était pas sure; dorénavent le général rendra compte exactement tous les deux jours des évènements qui auront lieu et tous les jours si les circonstances l'exigent.

signature de turreau

Le 13 février (25 pluviose an II), de Saumur il écrit à nouveau au Comité de Salut Public pour justifier sa conduite.

Turreau, général en chef, au Comité de Salut Public.

J'ai quitté Nantes précipitamment pour venir à Angers et Saumur où la malveillance cherchait à propager la terreur que quelques lâches avaient semée aux Ponts de Cé; I'alarme était sur les deux rives de la Loire. On nous faisait battre à Chollet, tandis que nous y avions remporté une victoire complète. Cette ville était au pouvoir de l'ennemi ainsi que celle de Mortagne qui n'a pas même été attaquée. L'ennemi était vaincu à Chollet et on battait la générale à Saumur qui en est à douze lieues. J'étais à Angers le 11, et l'on disait hier ici que le pont de Cé avait été pris le 11, etc., etc., etc. On se plaint partout de moi, les plus modérés me traitent d'ignorant et le plus grand nombre m'accuse de trahison; enfin il n'est point de contes absurdes que l'on ne débite sur mon compte. Malheureusement, des hommes en place, en montrant eux-mêmes des craintes mal fondées, semblaient justifier cette terreur panique.

On commence à se rassurer et mes nombreux ennemis perdent ici leur espérance. Je repars pour Nantes, et de là je compte rentrer dans la Vendée.

Une partie de la division détachée du Nord vient de battre complètement Charette à Saint Colombin près Legé; I'affaire a été très chaude, on a exterminé une foule de brigands. J'attends des détails de cette affaire pour vous les faire passer. Une centaine de blessés ont été apportés à Nantes, et on n'a pas manqué de dire que nous avions été complètement battus; mais quand cela arrivera, je vous le dirai moi-même, je ne vous cacherai ni mes avantages ni mes revers.

 

Le général Cordellier qui commande une des colonnes agissantes et qui a battu l'ennemi à Cholet, a l'ordre de le poursuivre sans relâche. Il me marque que la Rochejaquelein est tué et enterré à Trémentine. Trente rapports me sont faits sur cet événement et tous s'accordent. Ce qu'il y a de certain c'est qu'il n'était pas à Chollet et que c'était son armée qui attaquait cette ville; elle était commandée par Stofflet. J'ai ordonné à Cordellier de faire déterrer La Rochejaquelein et d'acquérir des preuves de sa mort.

Vous recevrez sous peu, citoyens représentants, un journal de mes opérations depuis que j'ai pénétré dans la Vendée avec douze colonnes agissantes. Vous y verrez les raisons qui m'ont obligé de changer mon plan et de réduire le nombre de mes colonnes pour les rendre plus fortes, parce que l'ennemi devenait plus fort lui-même; vous y verrez que, même en changeant mon plan primitif, Ia marche n'a pas été moins militaire et révolutionnaire; vous y verrez, non pas des victoires éclatantes, mais des succès réels et quelques légers échecs. Je vous y dirai enfin toute la vérité, je ne n'en suis jamais écarté.

Veuillez, citoyens représentants, me continuer vos bontés et votre appui; j'en ai plus besoin pour résister aux traits de la calomnie et de la malveillance qui m'environnent. On ne me pardonne pas d'être général en chef

P.-S Je reçois une lettre (de Duquesnoy) qui me donne les détails sur la victoire remportée sur Charette, je vous envoie copie

Le même jour, le général Robert son chef d'état major informe le ministre

Le général en chef Turreau occupé de rendre compte au Comité de Salut Public des événements qui viennent de se passer, me charge de te témoigner ses regrets de ne pouvoir t'annoncer les succès que viennent de remporter les soldats de la république sur les restes de l'armée catholique et royale commandée par Charelte. Plus de huit cents brigands ont mordu la poussière. Le général en chef adresse, par le même courrier, des détails importants et satisfaisants au Comité de Salut Public qui te les communiquera sans doute.

Le général Turreau part à l'instant pour Nantes où sa présence est indispensable. A son arrivée, il te fera parvenir ces détails que les circonstances lui font regetter de ne pouvoir te donner directement.

Le 14 février (26 pluviose an II), de Nantes, il annonce la "victoire" de Beaupreau au Ministre de la Guerre

Le général en chef Turreau au ministre

C'est un vrai plaisir pour moi de t'annoncer les nouveaux succès qu'ont obtenus les armées de la République. Le général de division Cordellier m'annonce deux victoires remportées aux environs de Beaupreau et de Montrevault. Quinze cents brigands ont mordu la poussière, deux cents se sont noyés dans l'Evre. Cordellier les poursuit sans cesse, c'est mon ordre, Ies deux colonnes agissantes devant poursuivre sans cesse les rassemblements de l'ennemi, tandis que des postes d'observation le tiennent en échec et l'empêchent de sortir du cercle que chaque victoire rétrécit de plus en plus.

J'apprends dans l'instant qu'un parti que j'ai fait sortir de Nantes pour enlever des grains, a tué ou fait noyer trois cents brigands stationnés dans la forêt de Princé et qui s'opposaient à l'enlèvement des subsistances. Je te prie citoyen ministre de faire part de cet avantage au Comité de Salut Public.

Et I'on disait qu'il n'y avait plus de brigands,…et depuis que je suis entré dans la Vendée, en voila plus de douze mille qui sont exterminés,... et je ne cesse de faire brûler partout et de tuer ces coquins,... et l'on dit que je cherche à prolonger cette guerre et qu'il n'y a que Marceau ou Westermann qui puisse la finir !.....

Je braverai la malveillance, citoyen ministre, quand j'aurai ta confiance et que je serai sur de n'avoir pas démérité auprès de toi et du Comité de Salut Public.

Tu sais que, sans aucune autorisation j'ai pris les mesures les plus rigoureuses pour terminer cette guerre affreuse. Le Comité de Salut Public a bien voulu depuis y donner sa sanction; mais j'étais tranquille, je me reposais, qu'il me soit permis de le dire sur la pureté de mes intentions.

J'oubliais de te dire, citoyen ministre, que la division aux ordres du généraI Cordellier mérite les plus grands éloges, particulièrement le soixante quatorzième régiment, ci-devant Beaujolais, conduit par un de ses chefs, Moret, qui, suivant Cordellier, a eu la plus grande part à la victoire.

Dans la lettre écrite le même jour au Comité de Salut Public, il précise :

Je vous l'avais bien dit, ajoutait-il, qu'avec des officiers généraux instruits, des soldats courageux, je répondais de terminer la guerre de la Vendée, d'après les mesures que j'ai adoptées.

Je continue à mettre dans les opérations des divers chefs de colonnes l'ensemble qui fait tomber les brigands sous les coups d'une colonne, lorsqu'ils ont échappé à ceux d'une autre.

On continue à brûler de tous côtés, et cette opération irait plus vite, si I'on enlevait plus promptement les objets de subsistances que j'ai ordonné de conserver.

Depuis la séance de la Convention du 12 février, Turreau cherche à se justifier, ainsi le 18 il écrit au Président de la Convention

… La marche des colonnes que j'avais chargées de traverser la Vendée, a déjà produit la mort de près de six mille brigands, la découverte d'une quantité considérable de grains et de fourrages que j'ai fait déposer dans les magasins des environs et de quelque argenterie que je m'empresse de t'adresser. L'envoi eût été plus considérable si quelques soldats, indignes du nom républicain, n'eussent détourné une partie de ces effets. J'ai lieu de croire qu'ils changeront de conduite, lorsqu'ils verront la Convention Nationale consacrer dans son bulletin les noms de ceux qui ont généreusement apporté sur l'autel de la patrie Ie prix des dangers qu'ils ont courus…

Cette lettre lue le 20 valut au général des applaudissements.

 

Le 19 février, Garrau, Hentz et Francastel rendent compte au Comité de Salut Public de leur rencontre avec le Général en Chef

A Nantes le 1er ventose de l'an deux de la République Française, une, indivisible et impérissable.

Les Représentants du Peuple Français près de l'Armée de l'Ouest;

Aux Représentants du Peuple composant le Comité de salut Public

Citoyens Collègues

Nous avons eu hier au soir une première entrevue avec le général en chef de l'armée de l'ouest. Cet homme nous paraît avoir du mérite et de la franchise; il est sur que tous les malveillants le décrient, et ce qu'il y a de singulier c'est qu'ils ne disent rien que de vague contre lui

Le résultat de notre entretien avec lui sur la guerre de la Vendée est parfaitement conforme aux données qui nous parviennent de tous les militaires; c'est que les rebelles n'ont plus aucune consistance politique, qu'ils sont totalement dissous, mais qu'il reste encore beaucoup d'hommes qui se tiennent épars quand ils voient une force supérieure et qui se rassemblent très facilement pour se jeter sur les parties faibles.

Le général en chef nous a promis de les détruire tous mais il faut se faire une autre idée des rebelles que celle que l'on a eue jusqu'ici; c'est que tous les habitants qui sont à présent dans la Vendée sont des rebelles tous acharnés; c'est que les femmes, les filles, les garçons au dessus de 12 ans sont les plus cruels. Ils exercent des cruautés inouïs sur nos volontaires, les uns sont coupés par morceaux et les autres brûlés et ce sont des femmes qui commettent ces atrocités.

Il n'y a dans la Vendée d'habitants que féroces; les uns prétendent qu'ils sont encore au nombre de 15.000, d'autres au nombre de 25.000 en tout et épars dans les forêts où ils ont amassés vivres, bestiaux et où ils se font des labours.

Sur ce pied là, la guerre de la Vendée ne sera complètement terminée que quand il n'y aura plus un habitant dans la Vendée et encore sera-t-il à craindre que les scélérats des pays voisins qui sont détestables pour l'esprit public ne viennent se retirer dans ces bois sont indestructibles en plusieurs parties, mais cela sera difficile au moyen des précautions qui seront prises.

Le général et tous ceux qui connaissent l'état des choses ne voient donc de difficultés que dans celle de saisir les rebelles qui ont des repaires assurés dans les forêts et qui ne se montrent que pour détruire; il n'y a dans ce cas d'autre moyen que de les traquer dans chaque partie et de présenter sur chaque point une force supérieure à la leur totale, tel est le plan du général, il doit dans deux ou trois jours faire faire de telles fouilles qu'il les fera sortir de leurs tanières. Il nous a expliqué les raisons de la division de son armée qui a donné aux petits revers que nous avions éprouvés, il prétend que c'est à cette division que nous devons la destruction des rebelles qui ont été tués depuis ce temps là; mais nous lui avons répondu qu'il n'y avait qu'une manière de se disculper, c'est de détruire entièrement les rebelles avant 15 jours.

Sur les ordres du ministre, il avait retenu la Division du Nord et le général Duquesnoy, mais il vient de nous promettre qu'avant 15 jours il les renverra à leur destination à Cherbourg. Il y a déjà un germe de division entre le général en chef et le général Duquesnoy ; celui-ci se trouve d'un avis contraire aux autres généraux : vous remarquerez que le général Duquesnoy fut déjà en discussion dans l'armée du Nord avec le général en chef; on attribua cela à son chef d'état major que l'on dit n'être rien moins que patriote, nous saurons empêcher que cela n'ait de suite.

Garrau l'un de nous va accompagner le général en chef dans la chasse à donner aux brigands, Hent, qui ne peut courir à cheval à cause de la faiblesse de sa santé restera à Nantes avec Francastel qui va mieux et dont la présence est ici très utile jusqu'à ce que quelqu'un vienne en cette ville, alors ils iront en d'autres points où l'on peut aller en voiture ce qui est impossible dans un désert où il n'y a ni chevaux, ni chemins praticables, car tel est l'état de l'intérieur de la Vendée.

Hentz et Francastel se proposent de ne pas quitter que tout ne soit terminé et organisé; mais il faut envoyer une personne d'une santé robuste pour suivre les camps et marcher à la tête des colonnes ; supposé cependant que tout ne soit pas terminé avant le départ de Garrau, car si on peut joindre les rebelles, c'est fait d'eux, les noyaux bien dissous, on fera dans ce pays des courses de cavalerie qui tuera tout ce qu'elle rencontrera, il ne pourra y avoir de (un mot manquant) que pour les réfugiés quand ils pourront rentrer.

La Vendée contient une quantité immense de vivres, quand elle sera purgée, elle fournira de grandes ressources.

Nous vous le répétons la Vendée n'est pas dans le seul département qui porte ce nom, elle est dans tout le pays qui environne; mais son site des repaires qu'elle présente seront toujours le rendez-vous de contre révolutionnaires : il y a péri plus de 150.000 personnes qui ne sont pas à coup sûr de la Vendée.

Nous vous recommandons de nous faire réponse sur le champ à la lettre jointe relativement à Cholet. Tout le monde s'accorde à demander la destruction de cette ville; ne vous arrêtez pas aux lamentations des pleurards, tous les modérés, tous les meneurs de sociétés populaires de ces pays-ci, disant qu'il ne faut pas détruire, parce que c'est le seul moyen de finir

Salut et fraternité

Le 28, de Nantes, Turreau rend compte au Ministre de la Guerre des opérations contre Charrette, il en profite pour se justifier, se défendre et solliciter de manière indirecte une approbation :

 

J'étais entré dans la Vendée pour suivre Charrette, j'avais réuni les deux divisions aux ordres de Cordellier et de Duquesnoy. Charrette, trompé par ma marche dirigé sur le petit et le grand Luc, restait tranquille à Genneton et Saint Philbert de Bouaine, lorsque par une contre-marche forcée, je me suis trouvé le 24 à une demi-lieue de lui. Arrivé trop tard pour faire aucune attaque, j'ai pris position sur les Landes de Bouaine, et le lendemain j'ai fait marcher les troupes sur deux colonnes pour attaquer. Arrivé aux hauteurs de Genneton, mes éclaireurs n'ont pas tardé de rencontrer ceux de Charrette. Averti par quelques coups de carabine et de pistolet, je me suis porté en avant pour reconnaître. Assuré que l'ennemi avait une position qui l'invitait à se battre, j'ai ordonné à l'infanterie légère, qui formait l'avant garde de ma colonne de gauche, de se déployer sur sa droite entre les deux colonnes et d'amuser l'ennemi posté dans un bois qui formait un angle saillant sur les Landes de Genneton. Mes colonnes, continuant leur marche, ne devaient engager l'action que lorsqu'elles seraient à portée d'attaquer l'ennemi sur ses deux flancs; mais Charrette a fait manquer l'effet de ces dispositions en fuyant rapidement. Ma cavalerie l'a poursuivi et a atteint vingt ou vingt cinq de ses cavaliers allemands qui ont mordu la poussière. Parmi eux s'est trouvé un chef, nommé Dorinière, ancien officier au régiment de Saintonge. Je n'ai pas perdu un homme, nous avons été délivrés d'une centaine de ces coquins, tant aux Landes de Bouaine, Genneton, qu'aux environs.

Ma marche, citoyen ministre, n'a produit d'autre effet que de forcer Charrette à quitter son pays chéri, le bocage, pays affreux pour faire la guerre, et qui lui est extrêmement favorable. Il s'est porté dans la partie de la Vendée qui avoisine Chollet. J'ai envoyé à sa poursuite la division commandée par le général Cordellier et un corps commandé par Haxo. Quant à celle commandée par le général Duquesnoy, je l'envoie à Rennes. J'en ai reçu l'ordre exprès et l'ai exécuté , quoique très contraire à mes opérations, d'après l'avis du représentant Prieur de la Marne.

Je ne puis me dispenser, citoyen ministre, de t'exposer la triste situation où je me trouve. On me dépouille entièrement, et qu'est-ce que l'on m'ôte ? les meilleures troupes. La Vendée a perdu sa consistance politique, la guerre de la Vendée ne doit point inquiéter; mais elle n'est pas finie, je ne cesserai de le répéter.

Je te préviens que l'on me demande douze cents hommes pour Rochefort, je ne peux pas les envoyer. J'ai peu de bonnes troupes, diminuées chaque jour par le grand nombre de soldats malades. Les hôpitaux sont pleins, le tiers des soldats n'est pas armé et l'on me croit une armée formidable,... et I'on ne songe pas à l'étendue de mon commandement qui a prés de cent lieues de diamètre, sans y comprendre la garde des côtes depuis l'embouchure de la Vilaine, jusques et compris la Rochelle. Voilà ce que je mande au comité de salut public qui sans doute a reconnu combien il était dans l'erreur, et m'a fait des reproches sanglans que je ne mériterai jamais. Ah ! sans doute je ne devais pas m'attendre à être soupçonné de suivre la marche de l'infâme Biron. On m'accusait de morceler mes forces, de vouloir perpétuer la guerre de la Vendée, de rester dans l'inaction, lorsque je ne me donnais pas un moment de repos et que je battais l'ennemi sur tous les points. On peut avoir une mauvaise idée de mes talents militaires; sans doute, en servant la chose publique, je suis désespéré de la faiblesse de mes moyens; mais il affreux pour moi de voir suspecter mon zèle et mes opinions. Environné d'ennemis, de traitres, d'envieux, d'intrigans,; abandonné par les représentants du peuple, alors près de l'armée de l'Ouest, j'osais concevoir un projet hardi, j'osais prendre sur moi des mesures révolutionnaires que l'intérêt public nécessitait… Les représentants du peuple à qui j'ai rendu un compte exact de mes opérations, qui en ont suivi les détails, diront si j'ai morcelé mes forces, si j'ai à me reprocher d'avoir, par quelque imprudence, donné prise à l'ennemi. Ils diront aussi si j'ai laissé aucun canon ni munitions dans la Vendée.

Dans l'état de dénûment de troupes où je suis pour pouvoir garantir tous les postes soumis à mon commandement, il m'est impossible d'envoyer à Rossignol l'infanterie légère que commandait Kléber. Le dernier sacrifice que j'ai pu faire, est la division de Duquesnoy : elle a l'ordre de se rendre à Rennes par une marche forcée, elle est en route.

Des armes surtout, des armes, au moins six mille fusils… Provisoirement, d'après l'autorisation de Garrau et Prieur, j'ai fait prendre les armes de la première réquisition.

Cette lettre ne devait pas être suffisamment explicite quant aux causes et aux responsables des revers essuyés, puisque le même jour, Turreau reprend la plume :

Il est de mon devoir de te prévenir de la conduite coupable que le général Duquesnoy a tenue en cette armée. Il n'a pas peu contribué à entraver les mesures révolutionnaires que j'avais adoptées; il les avait blâmes hautement aux yeux de sa division entière; et, par une contradiction dont je devine la cause, il a outre passé les ordres de rigueur que je lui avais donnés. Malgré la victoire qu'il a remporté à Saint James, on a lieu de l'accuser d'avoir refuser de prendre les seules dispositions qui pouvaient anéantir l'armée de Charrette et le livrer lui même. Dans cette division, il n'existe à cet égard qu'un cri contre Duquesnoy. Depuis ce temps, il n'a cessé de ridiculiser publiquement les ordres que je lui ai donnés, de chercher à avilir l'autorité que tu m'as confiée. Les représentants du peuple sont encore instruits d'autres faits particuliers qui te porteront peut-être à une suspension bien méritée… En envoyant Duquesnoy à l'armée des Côtes de Brest, j'ai délivré celle de l'Ouest d’un général dont les faux principes, l'ambition ou l'intrigue étaient si dangereux dans la Vendée.

 

Dès le 2 mars, Turreau prévient le Ministre des possibles raisons d'une apparente désobéissance aux ordres concernant le courrier. Il vante l'action de Huché à La Gaubretière tout en développant à nouveau les raisons de ses demandes d'effectifs. Il tente également en demandant l'étendue de son commandement de nuire à un "collègue".

De Nantes le 2 mars 1794

Le Général en Chef Turreau au Ministre

Je reçois dans l'instant un arrêté du comité de salut public qui m'ordonne de correspondre avec toi par chaque ordinaire : je l'exécuterai autant qu'il me sera possible, mais tu jugeras toi-même de la difficulté d'assurer cette correspondance, lorsque je suis au milieu de la Vendée, où souvent mes communications sont interceptées momentanément. Je n'ai pas besoin de te dire combien il serait dangereux que quelques-unes de mes lettres tombassent entre les mains de nos ennemis.

Le général de brigade Huché, qui commande à Chollet une forte garnison avait reçu l'ordre de moi de dissiper tous les rassemblements qui pourraient se former aux environs. Instruit qu'il y avait sept ou huit cents brigands à la Gaubretière qui inquiétaient Mortagne, Huché part de Chollet avec un fort détachement, et, par une marche nocturne et rapide, surprend les ennemis. Cinq cents ont été taillés en pièces, parmi lesquels un grand nombre de femmes, car les femmes s'en mêlent plus que jamais. Cette affaire a eu lieu le 27 février et ce rassemblement est entièrement dissipé, mais il s'en forme de nouveaux journellement, et je ne puis ni ne dois te dissimuler que je n'ai pas assez de forces pour empêcher une trouée. Il est vrai que l'ennemi est toujours harcelé et poursuivi par mes colonnes ambulantes; mais enfin il peut percer momentanément et causer de grands désordres.

Le décret qui ordonne la levée des jeunes gens de la première réquisition a beaucoup augmenté le nombre de nos ennemis et a fait même paraître quelques nouveaux rassemblements sur la rive droite de la Loire. Comment veux-tu qu'avec à peine trente mille hommes disponibles, je garde tous les points importants d'un commandement qui a près de cent lieues de diamètre ? Je ne comprends pas à la vérité dans ce nombre les bataillons de réquisition qui n'ont pas d'armes. Et dans quel moment me laisse-t-on aussi faible ? Au moment où suivant l'ordre du comité de salut public, je fais tout désarmer, opération qui a encore procuré des ressources et des partisans aux rebelles.

Bournet me demande pour la Rochelle et Rochefort quinze cents hommes que je ne puis lui envoyer. Rossignol me demande encore cinq mille hommes.... Je t'invite à mettre cette lettre sous les yeux du comité de salut public. Je lui ai écrit plusieurs fois : La guerre de la Vendée n'est point encore finie; mais la Vendée a perdu sa consistance politique, la Vendée ne doit plus causer d'inquiétude, etc. Je suis prêt à le répéter, mais si l'on me prive journellement de mes forces, si l'on brise tous mes moyens, je ne pourrai plus répondre des événements, et c'est alors que l'on pourrait dire de moi ce que l'on a dit avec raison de quelques-uns de mes prédécesseurs : il a voulu prolonger la guerre de la Vendée."

Je te prie de me dire si Orléans est compris dans mon commandement, je l'ai jugé ainsi : mais le citoyen Santerre, qui l'a quitté sans permission et sans m'en prévenir, prétend n'être pas sous mes ordres.

Le même jour, la lettre aux responsables politiques est à la fois un bulletin de triomphe et une requête pour des effectifs.

De Nantes le 2 mars 1794

Le Général en Chef Turreau au Comité de Salut Public

Encore une victoire remportée sur les rebelles ! Le général Huché, commandant les troupes stationnées à Chollet, s'étant, par mes ordres, porté à la Gaubretière, a fait mordre la poussière à cinq cents scélérats. La cavalerie qui les accompagnait a pris la fuite avant l'action. La fusillade a duré peu de temps, et l'arme blanche, si chérie des Français, a fait la besogne.

Un événement également avantageux est la prise du ci-devant chevalier de La Cathelinière; il est en mon pouvoir. Une blessure dangereuse l'avait contraint à se retirer chez lui à Frossay. On I'y a trouvé caché dans un pressoir. Il est résulté de l'interrogatoire qu'il a subi que son absence a dispersé le rassemblement de trois mille hommes qu'il commandait. Son supplice va venger la mort des braves militaires qui ont été les victimes de ses fureurs.

Quinze mille brigands détruits par les colonnes agissantes, La Rochejaquelein tué, La Cathelinière arrêté, une grande partie des repaires des brigands incendiés, presque toutes leurs ressources enlevées, voilà où nous en sommes.

J'attends de la suite des mesures révolutionnaires que j'ai adoptées, le terme de cette affreuse guerre; mais il m'est impossible d'agir plus rapidement avec le peu de forces qui m'est confié.

Nouvelles excuses, nouvelles justifications et renouvellement des accusations 2 semaines plus tard.

De Nantes le 18 mars

Turreau, général en chef au ministre

J'aurais désiré correspondre plus souvent avec toi, mais la multiplicité de mes occupations, l'incommodité des lieux dans lesquels j'ai été obligé de bivouaquer depuis quelques jours, m'en ont empêché.

Divers rassemblements de brigands infestaient la rive gauche de la Loire et inquiétaient la navigation. Afin de les anéantir, de leur enlever toute ressource, je projetai de faire balayer cette rive par deux colonnes, divisées momentanément en plusieurs parties. Le général Cordellier, alors aux environs de Nantes reçut l'ordre de commencer cette opération, et je me portai moi-même de Doué avec trois mille cinq cents hommes à sa rencontre. Les rives du Layon furent bientôt dégagées; la communication de cette partie de la Vendée coupée avec l'autre, les femmes, enfants, vieillards transférés sur l'autre bord de la Loire et le reste des brigands passés au fil de la baïonnette.

Je suis venu camper le 14 sous le canon de Saint Florent, ou j'ai fait ma jonction avec Cordellier. Nous avons marché parallèlement sur cinq colonnes, en exécutant les mesures révolutionnaires que l'expérience m'a convaincu devoir être les seules propres à anéantir la guerre de la Vendée. Les forêts de Leppo, du Parc, de la Foucaudière, etc., etc., ont été battues dans l'infâme pays du Loroux où dernièrement quelques patriotes ont été victimes de la fureur des brigands. Tout a été livré aux flammes, surtout la grande quantité de moulins à vent qui s'y trouvait.

Pendant cette marche, nous avons détruit au moins deux nille cinq cents brigands que la terreur avait engagés à se cacher en divers lieux. Je n'ai eu qu'un volontaire de tué et un blessé. Le général Cordellier a perdu peu de monde.

J'ai quelques renseignements sur des refuges particuliers de brigands. Je ne perds pas un instant à y diriger mes pas ; j'irai de là coopérer avec les deux colonnes commandées par Haxo, à l'anéantissement du corps de Charette et à la prise de ce scélérat. Il paraît peu compter sur ses soldats; à peine pouvons-nous le suivre. Je crois d'ailleurs que la crainte et le défaut de subsistances les ont dispersés.

Voilà la vérité, citoyen ministre, écarte tous les rapports particuliers qui te sont faits sur la situation de la Vendée, pour ne t'attacher qu'à ce que je t'en écris. N'accuse point mon chef d'état-major du retard qu'il a mis à t'envoyer les états de situation que tu exiges de lui, il lui a été impossible de le faire, vû les occupations dont je l'ai accablé, ainsi que les représentants du peuple. Son civisme, ses talens et sa rare activité le mettent à l'abri de tout reproche

Trois semaines plus tard, le Ministre est informé des opérations militaires, des échecs forcément dus aux autres et des difficultés à exécuter l'ordre de communiquer tous les jours.

Des Sables d'Olonne le 22 mars 1794

Le Général en Chef Turreau au Ministre de la guerre

Depuis huit jours, je marchais de concert avec le général Haxo contre Charette. Une marche forcée que je fis le 19 m'avait mis sur ses talons. Il m'évita par une fuite très rapide; mais nos colonnes étaient disposées à le forcer au combat, de quelque côté qu'il dirigeât sa marche. Effectivement, Charette a été attaqué par la colonne que commandait Haxo en personne. Les deux bataillons qui se présentèrent au combat, sous les yeux du général, prirent la fuite, aussitôt qu'ils eurent vu l'ennemi. Haxo cherche en vain à les rallier, en restant exposé au feu le plus vif; il est bientôt atteint de deux coups de feu, son cheval tombe, et le général, sur le point d'être pris par les cavaliers ennemis, se brûle la cervelle. Cependant la victoire était à nous; la bonne contenance de deux bataillons qui étaient à l'aile gauche et qui chargèrent vigoureusement les brigands l'eut bientôt décidée. Leur perte a du être considérable; la nôtre a été d'une vingtaine d'homme tués et cinquante-sept blessés.

La perte d'Haxo est irréparable dans ce moment-ci. Haxo était mon ami et peut-être n'en dois-je pas faire l'éloge; mais je puis dire avec vérité que toute l'armée, tous les citoyens partagent mes regrets. La mort d'Haxo, celle de Moulin le jeune, la retraite de son frère pour cause de maladie, la blessure qu'a reçue le général Caffin, un des meilleurs officiers de l'armée, celle de Blamont, mon premier aide de camp, fait adjudant général, etc, etc, toutes ces pertes ont retardé considérablement mes opérations et brisé tous mes moyens.

Un autre embarras que j'éprouve, c'est la difficulté, I'impossibilité même d'assurer ma correspondance, étant continuellement en marche et de mettre de l'ensemble dans les différentes parties de l'armée soumise à mon commandement. L'ennemi, qui est aux abois, ne s'attache plus qu'à intercepter mes convois et assassiner mes ordonnances. Ma cavalerie est sur les dents, j'en ai fort peu et c'est l'espèce de troupe dont j'aurais le plus besoin.

Je n'en finirais pas, citoyen ministre, si je te faisais part de toutes les contradictions que j'ai éprouvées, des entraves que l'on a mises de toutes parts à l'exécution de mon plan, du peu de subordination de la plupart des officiers généraux, accoutumés dans cette armée à délibérer sur les ordres et à agir isolément. J'espère que les représentants du peuple près cette armée m'en feront raison en en destituant quelques-uns, mais il m'en reste fort peu.

Tant que je suis en marche, il m'est impossible de faire exécuter exactement tes ordres et ceux du comité de salut public, j'en ai dit les raisons. Au surplus je rendrai compte des difficultés de tout genre que j'ai éprouvées et si l'on trouve que je ne vais pas, que je n'ai pas été assez vite, je me justifierai aisément de ce reproche.

Même système de justifications et de défense vis à vis du Comité de Salut Public quelques jours plus tard.

De Nantes le 29 mars 1794

Le Général en Chef Turreau au Comité de Salut Public

Je n'ai cessé de poursuivre les rebelles, et principalement le corps commandé par Charette. Tous les moyens que j'ai mis en usage pour atteindre ce scélérat et le forcer au combat ont été infructueux; mais j'ai miné ses forces et détruit en détail une grande quantité de ses soldats. Je croyais le rencontrer à Bouay, j'avais pris les précautions nécessaires pour m'assurer la victoire, et il a fui; à la longue il succombera. Déjà ce corps de rebelles n'est plus à craindre, ce n'est point par des victoires qu'on finira la guerre de la Vendée, mais bien par l'enlèvement des subsistances et le défaut de munitions de guerre.

J'ai eu soin d'instruire, autant que mes occupations me l'ont permis, les représentants du peuple et le ministère de mes diverses opérations; mais, je vous le répète, la rapidité de ma marche me met dans l'impossibilité de surveiller, autant que je le désirerais, tous les points soumis à mon commandement. Je me garderai bien surtout d'employer à répondre aux grandes dénonciations faites contre moi, un temps que je dois consacrer entièrement à la mission dont je suis spécialement chargé. Je n'ai pour but que la fin de l'horrible guerre de la Vendée, et je mettrai, pour y parvenir, tout en usage, quelles que soient les accusations dirigées chaque jour contre moi.... Je sais que des sociétés populaires, égarées par des hommes qui n'ont que le masque du patriotisme, ont cherché, par des adresses et des députations, à altérer la confiance dont vous avez paru m'honorer. Le plus grand crime que j'ai commis est d'avoir sacrifié les intérêts particuliers au grand intérêt général; de n'avoir écouté aucune de ces réclamations qui n'avaient pour but que de tuer la chose publique. Je devrais exciter une juste méfiance si j'avais obtenu l'assentiment de ces milliers d'égoïstes dont regorgent toutes les villes qui environnent la Vendée. Ils pourront finir par me perdre, mais j'aurai du moins garanti ce pays des funestes effets de leur modérantisme.... Ils veulent porter le découragement dans le cœur de tous les généraux, mais ils ne réussiront point.

L'évacuation de Mortagne a ouvert un champ vaste aux malveillants. On cherchera sans doute à vous induire en erreur sur un événement que je n'aurai pu prévoir et qui n'a eu aucune conséquence dangereuse, mais voici la vérité toute entière.... J'avais conservé Mortagne, il était défendu par six cents hommes d'excellentes troupes dont les moyens étaient doublés par les fortifications de la ville. Il y existait une grande quantité de subsistances, mais peu de munitions de guerre et l'on devait profiter de la proximité de la division de Cordellier pour en faire parvenir. J'avais du momentanément m'occuper de ce poste, lorsque j'étais appelé dans le fond du Bocage. Dernièrement, en faisant évacuer Tiffauge, j'avais donné à Cordellier l'ordre de renvoyer à Mortagne un nouveau bataillon, et il eut servi d'escorte aux cartouches qu'on devait y porter. Pendant ce temps les brigands s'approchaient et la garnison de Mortagne épouvantée, dont chaque individu avait encore trente coups à tirer, a fait sa retraite sur Nantes, après avoir battu trois fois l'ennemi qui s'opposait à son passage. Cinq heures plus tard, le secours arrivait, et bien à temps sans doute. Jugez maintenant du mérite des plaintes amères suscitées par les malveillants.... Comme l'opinion publique pourrait attacher une fausse importance au poste de Mortagne, je marche pour le reprendre, et je le conserverai selon l'état dans lequel je le trouverai.

Jusqu'ici je n'ai pris aucun repos; j'ai fait ce que j'ai pu, et j'ose dire avoir obtenu tous les succès que je m'étais promis. Je suis parvenu à miner les forces des rebelles, anéantir leurs ressources, au point de leur ôter toute consistance politique.

Si l'encadrement avait pu s'opérer; que les troupes de nouvelle levée eussent eu le temps de se former, je pourrais déjà, sans interrompre mes opérations, vous offrir une partie de troupes assez considérable pour une autre destination; mais l'extrême activité dans laquelle je suis, en marchant sans cesse dans la Vendée, m'a empêché de m'occuper encore du rétablissement de l'ordre, de l'harmonie et de la discipline dont cette armée a le plus grand besoin. Les représentants Prieur et Garrau vont s'occuper de sa réorganisation.

Je dois vous prévenir de l'obstacle que m'a fait éprouver le défaut de cavalerie. Les brigands fuyant avec rapidité ne peuvent plus être ramassés qu'en détail par des corps de cavalerie légère parcourant la Vendée, et des deux mille deux cents hommes que votre arrêté semblait me garantir, il en est arrivé à peine douze cents dont une grande partie sans armes et sans chevaux capables de faire le service.

Après 2 semaines de silence, un nouveau compte rendu des opérations militaires forcément à son avantage et la description minutieuse des difficultés rencontrées qui sont toujours le fait des autres.

De Montaigu le 5 avril 1794

Le Général en Chef Turreau au Ministre de la Guerre

Je vais te rendre compte, citoyen ministre, des événements qui ont eu lieu depuis le 29 mars. Une fausse marche faite par le général Crouzat qui commande la colonne du général Cordellier, resté malade à Saumur, a rapproché mal à propos cette colonne de Montaigu, ainsi que celle du général Grignon, qui marchait de concert avec elle contre le corps commandé par Stofflet. J'avais donné ordre à Cordellier de ne pas quitter ce scélérat; il avait donné le même ordre à Crouzat, avant de partir, et cet ordre n'as pas été exécuté. Au surplus, il n'est rien résulté de fâcheux de cette marche inutile, sinon qu'on a perdu huit jours d'un temps précieux.

Cependant ma marche dans le Bocage l'avait fait évacuer à l'ennemi. Un corps d'environ huit cents hommes d'infanterie et quarante chevaux s'était porté entre la Maine et la Sèvre, et de là envoyait des partis qui coupaient les communications entre Nantes et Montaigu. Ce parti, quoique battu par le général Cambray, gardait toujours sa position dangereuse pour nous. Je formai alors le projet d'envelopper l'ennemi; ce projet a eu son exécution et a réussi. Dusirat, qui partait pour Mortagne avec une forte colonne, a reçu l'ordre de faire une contre-marche et d'occuper la rive droite de la Sèvre, en gardant surtout le pont de Clisson. Cambray, placé à Remouillé avec deux mille hommes, en est parti le même jour, 3, pour attaquer les brigands, qu'on supposait à Maisdon ou Sainte-Lumine; un corps de troupes, sorti du camp de Ragon près Nantes, occupait un poste avantageux sur la rive gauche de la Maine et devait empêcher les rebelles de passer cette rivière. Un autre corps, tiré de la garnison de Montaigu, occupait une hauteur près de cette ville, d'où il pouvait voir et suivre les mouvements de l'ennemi, s'il parvenait, à la faveur de la localité, à se glisser entre nos colonnes.

Je partis moi-même de Montaigu à la tête de douze cents hommes choisis pour attaquer Sainte-Lumine, au moment où Cambray attaquerait Maisdon. Il en débusqua effectivement l'ennemi qui s'enfuit du côté de Monière. J'en fus instruit par Cambray qui me fit dire en même temps que les brigands suivaient la rive gauche de la Sèvre en la remontant, pour sortir de l'enceinte des deux rivières. Alors je fis faire une contre-marche rapide à ma colonne, qui força l'ennemi à rester dans le cercle étroit où je l'enveloppais. Alors il se jeta sur la colonne de Cambray, et ce ne fut pas un combat, mais une boucherie. Prés de six cents sont restés sur la place, deux cents ont échappé à la mort en fuyant de tous côtés dans les bois. Mes colonnes, qui sont toujours en marche, les ramas- seront en détail. Cette armée était commandée par Goyet et Pineau, deux amis de Stofflet qu'ils devaient aller joindre à Montfaucon; mais j'avais été instruit de ce mouvement, et la veille de l'affaire, une forte colonne avait l'ordre d'occuper Montfaucon, pour empêcher cette réunion, dans le cas où, contre toute vraisemblance, l'ennemi nous aurait échappé entre Maine et Sèvre. Cette affaire est d'autant plus heureuse, qu'elle ne nous a coûté qu'un cheval.

On doit entrer aujourd'hui à Mortagne que les ennemis ont, dit-on, évacué sur-le-champ. C'est Marigny, qu'on a dit mort depuis longtemps, qui y est entré lorsque la garnison l'a évacué. Il serait à désirer qu'ils y fussent restés, les troupes que j'y envoie en auraient eu bon marché.

J'ai oublié de te marquer, citoyen ministre, qu'il s'était formé un rassemblement, peu nombreux à la vérité, du côté de la Roche sur Yon; I'adjudant général Joba l'a facilement dissipé avec quelques troupes sorties de Luçon. Si le général Bard, que j'avais suspendu provisoirement, et qui a été destitué par les représentants du peuple, eût exécuté ponctuellement mon ordre du 20 janvier en faisant évacuer tout le pays entre Luçon et la Roche sur Yon, les rebelles n'auraient pas trouvé dans cette partie, très riche en productions de tout genre, des ressources qui ont prolongé leur existence; et Charette, n'en ayant plus dans le Bocage que j'ai entièrement dévasté n'aurait pas trouvé des moyens de ravitailler son armée en munitions et en hommes dans le pays soumis au commandement de Bard surtout dans la partie qui est entre le Bocage et Luçon. Au surplus, Charette a éprouvé tant d'échecs, que je ne lui connais plus d'armée. Je ne sais où est son parti; mais au moment où il reparaîtra, si toutefois il reparaît, je ne perdrai pas de temps pour lui donner la chasse.

Il n'existe maintenant dans la Vendée que deux corps de rebelles qui méritent quelque attention, celui commandé par Stofflet, et l'autre par Marigny. Ils ont à leur poursuite deux fortes colonnes de soldats républicains, I'une commandée par l'adjudant général Dusirat, et l'autre par le général de brigade Grignon qui a battu Stofflet trois fois de suite, et qui l'aurait battu une quatrième si les troupes exténuées eussent voulu donner.

Tu ne peux pas te faire d'idée, citoyen ministre, des entraves que l'administration de cette armée apporte à mes opérations militaires. Plusieurs mouvements ont été retardés ou manqués par le défaut d'exécution de mes ordres les plus précis. La difficulté des chemins rend les transports presque impossibles; le défaut de sûreté des communications fait que je suis obligé d'avoir de fortes colonnes pour escorter les envois; et quand l'administration des vivres ou celle des charrois retarde les envois que j'ai ordonnés, la marche des colonnes est retardée ou différée, et l'ennemi m'échappe. J'ai éprouvé cela vingt fois depuis que je commande cette armée. Au reste, j'ai dénoncé les coupables aux représentants du peuple.

J'avais perdu de vue l'affaire de Mouchamp dont tu me parles dans une de tes lettres : les troupes ont évacué ce poste et se sont repliées. Ce n'a pas été véritablement une affaire; mais si nous eussions éprouvé un échec dans cette partie, c'eut encore été la faute du général Bard, à qui j'ai, comme aux autres, défendu dix fois le morcellement.

J'ai formé le projet d'établir plusieurs camps dans la Vendée; je l'exécuterai si tu l'approuves. Il me paraît indispensable, pour tirer le soldat des villes qui environnent ce pays, I'entretenir dans une continuelle activité, et I'empêcher de se corrompre dans des cités où l'esprit public est généralement mauvais. Je couperai, autant qu'il me sera possible, toute communication aux militaires dans les villes dont le séjour leur est pernicieux sous tous les rapports. J'établirai en conséquence un camp en avant de Luçon, un autre à Niort, aux Sables, à Thouars, à Doué et en avant de Nantes. Je te prie de me marquer si tu approuves ce projet

Une semaine plus tard, même triomphalisme militaire, mêmes justifications des échecs, mêmes accusations.

De Montaigu le 12 avril 1794

Le Général en Chef Turreau au Ministre

Depuis la dernière lettre que je t'ai écrite, je n'ai cessé de poursuivre les brigands et de leur enlever autant de moyens de subsistances que les mauvais chemins et la pénurie de voitures le permettent. Lorsque j'ai poursuivi Charette dans le Bocage, il n'a voulu ni m'attaquer ni m'attendre. Pressé aux Landes de Bouay, il a partagé son armée en deux colonnes qui ont fui rapidement, chacune de leur côté. L'une d'elles s'est renfermée entre Maine et Sèvre et s'y est fait battre, comme je te l'ai marqué. J'ai continué à le poursuivre et j'ai anéanti ce rassemblement, en faisant fouiller de suite les forêts de Monbert et de Touffou, où l'on en a tué plus de cinq cents en deux jours. Nous n'avons eu qu'un homme tué et deux blessés.

Cependant Charette restait caché, ayant sacrifié la moitié de son armée pour conserver l'autre. Une colonne se mettait en marche pour le chercher dans le Bocage, lorsque tout à coup il attaque Challans. Dutruy avait dégarni ce poste et celui de Machecoul pour une expédition dans le Marais où de nouveaux rassemblements s'organisaient. L'armée de Charette a combattu pendant sept heures avec un acharnement qui ne lui est pas ordinaire; enfin elle a été rompue et mise dans une déroute complète. Charette a eu deux cents morts, on ne sait pas le nombre de ses blessés. Nous avons eu vingt-neuf hommes tués et trente et quelques blessés. Charette, en se retirant, a du trouver une colonne républicaine derrière lui. Je n'ai point encore de nouvelles de cette rencontre. Pendant que ces divers mouvements s'opéraient à l'ouest de la Vendée, je faisais marcher à peu près six mille hommes du côté de Mortagne, douze cents hommes d'infanterie et cinquante chevaux en devaient être détachés pour former la garnison de ce poste, lorsque les républicains l'auraient repris. On est entré dans Mortagne. Grignon et Dusirat, après avoir laissé les troupes destinées à sa garnison, en sont partis avec quatre mille cinq à six cents hommes, et se sont mis sur deux colonnes à la poursuite de Stofflet. Je leur avais recommandé de faire marcher leurs colonnes à la même hauteur, et assez rapprochées pour pouvoir se secourir mutuellement et promptement, si l'une d'elles était attaquée.

Grignon s'éloigne momentanément de Dusirat pour protéger un convoi de vivres venant de Doué et destiné pour Mortagne et pour l'armée; Dusirat est vivement attaqué en queue, six bataillons se mettent en déroute, sans brûler une seule amorce; mais l'avant-garde tient ferme, répare le désordre, charge vivement l'ennemi, et le met en déroute complète. Dusirat, non content de cet avantage, poursuit les brigands le lendemain; il est attaqué; et toute son armée se met en déroute. Il parvient à y remettre l'ordre, mais il est obligé de faire sa retraite sur le camp que j'ai établi en avant de Doué.

Grignon; pendant ce temps-là, avait battu et dissipé quelques rassemblements peu nombreux qui s'étaient formés aux environs de Gonnord où les brigands, au milieu des ruines, avaient établi une manutention assez considérable. On y a trouvé beaucoup de pain, de farine, de blé. Grignon, après cette opération, instruit de l'échec de Dusirat qui le couvrait, s'est retiré sur Doué où il avait ordre de laisser reposer ses troupes très fatiguées et de renouveler sa colonne.

Je n'ai pas plus tôt appris le revers de Dusirat qui devait protéger Mortagne et lui fournir des munitions ou protéger les convois venant de Doué jusqu'à ce que la manufacture y fût rétablie, que, sachant cette ville abandonnée à elle-même par l'éloignement des colonnes, j'y ai fait passer un convoi de trente mille rations de pain et cinquante mille cartouches, escorté par deux bataillons d'infanterie et cinquante chevaux destinés à augmenter sa garnison. Le Convoi y est arrivé et je suis tranquille sur ce poste dont, au surplus, la conservation ne peut avoir d'importance que dans l'opinion de ceux qui ne connaissent pas bien la guerre de la Vendée et qui ne savent pas que dans la position où est l'ennemi, il lui est impossible de conserver aucun poste.

Il résulte de l'échec que vient d'éprouver Dusirat, et des dispositions où sont maintenant les troupes qui composent cette armée, que je regarde leur changement d'une nécessité indispensable. Tel soldat serait bon à l'armée du Nord ou du Rhin, à qui le nom seul de brigands inspire une terreur dont rien ne peut le faire revenir. La principale cause de cet effroi, dont j'ai vu saisis des bataillons entiers est dans la certitude où est le soldat qu'on ne fait pas de prisonniers, et que, s'il tombe vivant entre les mains des rebelles, il est sûr d'être tué et souvent de la manière la plus cruelle.

Une autre cause de la lâcheté qu'ont montrée quelques bataillons qui, dans d'autres occasions, s'étaient bien battus et avaient obtenu et mérité la confiance des chefs, c'est la richesse du soldat qui jusqu'ici a beaucoup pillé, quelques mesures que j'aie prises et quelques punitions que j'aie fait infliger pour m'opposer à ce désordre et conserver à la république une quantité prodigieuse de numéraire métallique trouvé dans les différentes fouilles.

D'autres causes coopèrent encore à la corruption du soldat : celle des villes dans lesquelles je ne le mets que momentanément en garnison et qu'il ne quitte qu'avec regret, lorsqu'il faut rentrer en campagne; la mauvaise composition de la plupart des officiers, dont quelques-uns montrent autant de négligence dans le service journalier que de lâcheté un jour de combat. Je ne cesserai de punir, surtout les officiers, jusqu'au retour de l'ordre et de la discipline.

Au surplus, je le répète, il faut changer les troupes qui composent cette armée, et cela peut se faire sans retarder les opérations militaires. Si ce changement a lieu entre l'armée de l'Ouest et celle des côtes de Brest, il se fera d'une manière insensible, et ni l'une ni l'autre armée n'y perdra par la qualité, comme par le nombre des troupes, bien entendu que je ne parle que de l'infanterie. Je ne pourrais disposer de ma cavalerie; cette espèce de troupe, du moins la plus grande partie, est excellente.

Sur les représentations qui m'ont été faites par les corps administratifs et le général qui commande à la Rochelle, j'ai fait passer dans cette place mille hommes d'infanterie et quatre cents canonniers; mais, comme les craintes de ce général m'ont paru aussi exagérées que ses demandes, j'ai changé son commandement, pour lequel il me paraît n'avoir aucun talent nécessaire. D'ailleurs j'ai changé de poste la plupart des officiers généraux et commandants de place, suivant les ordres du comité de salut public.

Revenons à la situation politique de la Vendée. Toute la partie du nord est gangrenée d'aristocratie; j'en acquiers à l'instant une preuve dans l'arrestation inouïe du général de brigade Huché, à qui j'avais confié le commandement de Luçon et postes environnants, à la place du général Bard que je suspendais provisoirement, suivant la permission que tu m'en as donnée et sauf à rendre compte de mes motifs, tandis que les représentants du peuple prés cette armée le destituaient. Sans doute le modérantisme de Bard convenait à Luçon, et cette ville s'est révoltée contre les principes sévères de Huché qui n'est pas un grand militaire, mais que je crois républicain pur. Un des torts qu'on lui impute est d'avoir fait fusiller un homme convaincu d'avoir porté les armes contre la république, etc. Tel est l'esprit de Luçon et des villes qui environnent la Vendée. Au surplus, je n'oserais pas prononcer sur la légalité ou l'illégalité de cette arrestation, n'étant pas suffisamment instruit de cette affaire; tu le seras exactement de ses suites.

Je te dois compte, citoyen ministre, des forces que je commande, et il y a longtemps que j'aurais dû le faire, et que je l'aurais fait, si j'avais trouvé de l'ordre dans cette armée en y arrivant, et si d'ailleurs les généraux m'eussent donné plus tôt leurs états de situation, dix fois demandés avant de les obtenir; et si l'activité que j'ai été obligé de donner aux opérations militaires et la faiblesse de mes moyens m'eussent permis de n'oublier aucun des objets qui devaient fixer mon attention.

Je commande cent trois mille hommes sur lesquels on m'en ôte, par une disposition très sage, trente un mille formant la première réquisition levée dans le pays et dans les environs. Plus de vingt mille remplissent les divers hôpitaux établis sur les différents points autour de la Vendée. Le représentant Garrau me demande six mille hommes des meilleures troupes, pour porter à l'armée des Pyrénées Occidentales, il ne me restera pas cinquante mille hommes pour garder un pays de cent et quelques lieues de diamètre, assurer la conservation des côtes, depuis l'embouchure de la Vilaine jusques et compris la Rochelle et postes environnants.

S'il ne s'agissait que de vaincre dans l'intérieur j'aurais peut-être plus de forces qu'il n'en faut; mais il faut garder la rive droite de la Loire presque dans toute son étendue; mais il faut contenir, et contenir par la terreur, la plupart des villes qui avoisinent les pays révoltés; mais il faut faire garder par de nombreuses troupes, pour ne pas les exposer à être envahis, des postes que j'aurais abandonnés et incendiés depuis longtemps, si les subsistances qu'ils renferment et qui sont dans les environs avaient été enlevées, comme je l'ai ordonné il y a plus de trois mois, et portées dans les magasins de la République.

Depuis, j'ai pris une connaissance plus particulière de la guerre de la Vendée, et surtout de la localité. J'ai lieu d'être surpris chaque jour des ressources infinies des rebelles, surtout en munitions de guerre. Depuis que je commande cette armée, le seul échec que nous ayons éprouvé, et qui mérite ce nom, est la prise de Legé par Charette. Legé ne devait pas être pris avec les forces qu'il contenait. Peut-être Haxo n'y devait-il pas laisser deux pièces de canon; mais il ne connaissait pas encore, à l'époque de cet événement arrivé le 9 janvier mon ordre général de ne laisser aucun canon dans la Vendée. L'ennemi s'empara de deux caissons dont l'un était presque vide, voilà les seules munitions qu'il nous ait prises. J'en excepte quelques cartouches qu'il peut avoir trouvées sur quelques volontaires tués dans différentes affaires. Depuis le 9 janvier, il y a eu trente combats dans lesquels les brigands ont été constamment battus. Ils sont entrés dans Mortagne qu'on avait évacué, ils n'y ont pas trouvé une cartouche. Comment se fait-il qu'ils aient encore des munitions de guerre, que leurs cartouches soient plus fortes en poudre que les nôtres, qu'il y en ait beaucoup composées de poudre fine ? C'est de quoi je me suis assuré par moi-même.

Certes, il existe encore des conspirateurs autour de la Vendée; je dis plus, il est présumable qu'il y a encore des hommes en place qui procurent des ressources aux brigands. J'ai communiqué aux représentants du peuple mes soupçons à cet égard, je ne négligerai rien de mon côté pour découvrir et faire punir les traîtres

Les trois dernières lettres, écrites à quelques jours d'intervalles et destinées au Comité de Salut Public justifie toutes les mesures prises et tous les ordres donnés tout en trouvant des raisons à tous les échecs.

De Doué le 4 (ou le 5) mai 1794

Le général en chef Turreau au comité de salut public

Si j'ai cessé momentanément de correspondre avec vous, c'est que je savais que vous étiez instruits régulièrement de tout ce qui se passait dans la Vendée par vos collègues près cette armée.

Je ne cesserai jamais de vous dire la vérité; cette guerre sera encore longue, mais elle n'est point inquiétante et ne peut le devenir, si toutefois on ne continue pas à m'enlever des troupes; si on subordonne dans ce pays aux autorités militaires les autorités civiles dont, en général, I'esprit est mauvais; si je parviens à faire punir les généraux perfides qui, n'osant agir contre révolutionnairement, n'en tuent pas moins la chose publique par leur inertie; si je parviens, à l'aide de vos collègues, à donner de l'activité au matériel de cette armée, qui n'a jamais eu d'ensemble, dont toutes les parties de l'administration ont été constamment viciées.

Il est bien affligeant pour moi citoyens représentants, de ne pas pouvoir vous dire, La guerre de la Vendée est entièrement terminée ; mais vous ne voulez pas être trompés, vous ne le serez jamais par moi.

Les rebelles, même leurs chefs conviennent qu'ils sont perdus sans ressource, mais ils ajoutent qu'ils vendront chèrement leur existence, et il ne faut pas se dissimuler que leurs derniers coups sont terribles. Partout ils attaquent et partout ils sont repoussés et battus. Je dis qu'ils attaquent, car quoique l'on marche pour les attaquer, ce sont véritablement eux qui vous attaquent toujours. Ils sont tellement favorisés par la localité et par leurs intelligences, qu'ils ne se battent que quand ils veulent.

Par les dernières mesures que j'ai prises et qui ont été adoptées par vos collègues, je retiens les brigands dans un pays déjà ruiné et qui le serait totalement, si mes ordres avaient été strictement exécutés. Le cercle où je les retiens se resserrera de plus en plus par la marche combinée des camps que j'ai établis et où le soldat, à qui le pays révolté et les villes qui l'environnent présentent tant de moyens de corruption, sera plus aisément contenu et moins indiscipliné. Au surplus j'ai proposé à vos collègues, et cette mesure parait indispensable, d'échanger une partie des bataillons de cette armée contre une pareille quantité de ceux de l'armée des côtes de Brest ou de Cherbourg. Ce changement peut se faire insensiblement et sans que les opérations de ces armées en souffrent.

Quinze habitants de la paroisse de Nueil sous Passavant viennent de donner l'exemple d'une intrépidité vraiment républicaine. Assiégés par sept à huit cents brigands, ils se retirent dans leur clocher et font un feu si bien soutenu, si bien dirigé, qu'ils en tuent cinquante et en blessent un assez grand nombre pour en remplir neuf voitures. Les brigands désespérés allument un grand feu dans l'église, et les quinze patriotes auraient été victimes de leur dévouement, lorsqu'une forte colonne arrive et les délivre. L'un d'eux, le maire du village, a eu le bras cassé d'un coup de feu et est mort le lendemain

De Saumur le 6 mai 1794

Le général en chef Turreau au comité de salut public

Je fais partir, suivant vos ordres, la trente-cinquième division de gendarmerie à pied pour Paris, et le 1er bataillon des Deux-Sèvres, pour l'armée des Pyrénées Occidentales.

Je ne cesserai de répéter que l'on me dépouille continuellement et que je n'ai pas assez de troupes pour l'étendue de mon commandement, surtout d'après les nouvelles que je reçois de la rive droite de la Loire, qui n'est pas tranquille. J'ai quarante mille hommes disponibles; cette force sera plus que doublée par l'arrivée des recrues; mais ces recrues sont sans armes, par conséquent hors d'état d'agir dans ce moment, et il ne faut pas donner un instant de repos aux rebelles.

Vous tromperait-on encore sur la véritable situation de la Vendée ? Vous a-t-on dit qu'il existe une fermentation très dangereuse sur la rive droite de la Loire, dans le Morbihan et dans le pays où sont les brigands connus sous le nom de chouans, etc. ? Savez-vous que des quatre-vingt mille combattants qu'on vous a dit détruits entièrement aux journées du Mans et de Savenay, il en reste plus de la moitié dans les pays qu'arrosent la Mayenne et la Vilaine ? que ces hommes ne sont pas défanatisés et que la terreur seule les empêche de se réunir ? que cependant ils peuvent le faire d'un moment à l'autre, si l'on diminue le nombre des troupes qui les contiennent, d'autant plus qu'ils ont encore parmi eux beaucoup de prêtres et quelques chefs qu'on avait dits tués.

Passons à la rive gauche où les républicains ont exterminé en plus de trente affaires, et surtout en détail, au moins vingt-cinq mille brigands. Eh bien ! il en existe encore un plus grand nombre à détruire en cette partie, et si je ne les avais pas poursuivis sans relâche depuis trois mois, si je ne leur avais pas rendu très difficiles les moyens de subsistances, si je n'avais pas placé sur les derrières les canons, les munitions de guerre, etc., la guerre aurait été cette année aussi terrible, aussi dangereuse que l'année dernière. La Cathelinière mourant en est convenu devant moi et devant les représentants du peuple.

Je sais qu'on m'objectera que les brigands n'ont pas la facilité de se recruter et l'on se tromperait encore. La levée de la première réquisition leur a fourni beaucoup de recrues, je suis en état de le prouver; et d'ailleurs tous les ennemis de la République, qui ont tenté d'occasionner des mouvements dans d'autres parties, ne finissent-ils pas par se réunir au noyau de la Vendée ? Ils remplacent ainsi ceux qui tombent journellement sous le fer républicain. Je soutiens que jusqu'à ce que la république soit entièrement purgée des scélérats qui ont voulu s'opposer à son établissement, la Vendée sera leur point de ralliement.

Il y a déjà quelque temps que je devais vous envoyer un rapport sur la véritable situation de la Vendée, et je l'aurais fait sans doute, si des opérations encore plus intéressantes et surtout plus pressantes, me l'eussent permis. Au surplus, à l'appui de ce que je viens de dire sur les moyens de recruter qui restent aux rebelles, je vous rappellerai une grande vérité qu'a dite Billaud-Varenne : La guerre de la Vendée, en ralliant sous ses bannières les hommes les plus corrompus, a servi elle-même à purger des brigands la terre de la liberté."

Citoyens représentants, au nom du bien public, ne diminuez plus mes moyens et envoyez moi des armes. Je n'ai pas un fusil à donner aux cinquante mille recrues qui m'arrivent. Que surtout plusieurs de vos collègues se rendent au plus tôt à cette armée; jamais leur présence ne fut plus nécessaire.

Les brigands ont encore des intelligences avec l'intérieur; il doit exister des traîtres, ou dans nos armées, ou dans les administrations qui environnent la Vendée. C'est aux représentants qu'il appartient de couper les fils de ces trames secrètes; ce sont eux qui doivent prévenir les effets du mauvais esprit qui règne ici, et de l'influence malheureuse qu'il a sur toutes les opérations militaires.

J'avais cru nécessaire de brûler le bourg de la Châtaigneraie, j'ai été à portée d'y placer une force assez considérable. Les brigands sont venus l'attaquer à deux reprises différentes avec un acharnement sans exemple, ils ont été complètement battus; mais la seconde victoire nous a coûté cent hommes tant tués que blessés. Nous avons enlevé cinq drapeaux sur lesquels sont tous les emblèmes du fanatisme.

De Nantes le 9 mai 1794

Le général en chef Turreau au comité de salut public

Je suis arrivé hier à Nantes, après avoir parcouru les divers points environnant la Vendée, et donné les ordres les plus précis pour l'établissement des divers camps dont la marche combinée doit, selon moi, terminer cette guerre malheureuse. J'ai appris aussitôt le succès qu'a eu l'expédition projetée dans le Marais et une de nos colonnes contre Stofflet. Je joins à celle-ci l'extrait des lettres des généraux Dutruy et Dusirat.

Je ne cesse de recommander dans la poursuite des brigands, dans l'enlèvement des subsistances, fourrages et bestiaux, dans l'incendie des fours et moulins, la plus grande activité. Si les choses ne sont pas plus avancées (je le répéterai toujours et je le prouverai quand on voudra), on ne doit en accuser que le modérantisme de certains généraux, la négligence d'une partie et l'ignorance des autres

J'ai jusqu'ici, citoyens représentants gardé le plus profond silence sur les calomnies que les malveillants répandaient sur mon compte mais je dois aujourd'hui à la place que j'occupe de vous dénoncer formellement les auteurs des libelles affreux qu'on ne cesse de distribuer avec profusion dans l'armée et ne vous y trompez pas, citoyens représentants, ce sont les moyens dont les aristocrates déguisés se servent pour altérer la confiance que le soldat doit avoir dans ses chefs, et entraver ainsi toutes les opérations militaires. Je ne réponds point aux infamies contenues dans ces libelles; les représentants Hentz et Francastel sont assez instruits des détails de ma conduite pour répondre à toutes ces horribles imputations... Que la tête des généraux coupables tombe, mais que les calomniateurs des généraux patriotes éprouvent le même supplice : la justice l'ordonne; vous êtes ses organes.

P.-S. J'enverrai au plus tôt au président de la Convention de nouveaux effets d'argenterie trouvés dans la Vendée. J'ai remis au représentant Prieur les drapeaux pris sur les brigands aux deux dernières affaires qui ont eu lieu à la Châtaigneraie.

Le 13 mai, le Comité de Salut Public relève Turreau de son poste de Commandant en Chef de l'Armée de l'Ouest et le 20 mai il est envoyé commander à Belle Isle.

ordre d'envoi de turreau à belle-ile

Dans l'ouvrage qui nous sert de fil conducteur et qui fut publié en 1825 soit 31 ans après les évènement, J. J. Savary conclut ainsi la période du commandement de Turreau :

"A l'époque où le général Turreau prit le commandement de l'armée de l'Ouest, à la fin de décembre 1793, la Vendée, à l'exception de la partie de Charette, était soumise ; partout les autorités constituées et les gardes nationales étaient rétablies ; les habitants avaient remis leurs armes et ne demandaient que protection. Ils s'étaient livré des combats mémorables, souvent funestes aux républicains, mais en général le pays avait peu souffert. Il était facile d'y maintenir la paix, mais Turreau avait conçu un plan de destruction générale en employant le fer et le feu ; les femmes, les enfants et les vieillards, n'étaient pas même épargnés. Il annonça son plan comme une promenade de dix jours dans la Vendée ; après ce temps, il devait mettre à la disposition du gouvernement une partie de son armée pour la diriger aux frontières. Il ne fallut que ces dix jours pour remettre sur pied toute la population de la Vendée, et rallumer une guerre à mort dans toute l'étendue du pays.

Incapable de former aucun plan militaire précis, Turreau épuisa ses troupes en courses souvent inutiles; il persista dans son plan de destruction, et ne sut employer que la flamme. S'il se livra des combats, il s'en tint constamment éloigné : souple et caressant auprès du pouvoir, il fut envers les subordonnés dur, impérieux, implacable dans sa haine, en un mot, Turreau ne connut que le génie du mal.

Enfin, le comité de salut public, averti par la persécution contre la garnison de Mortagne, par les réclamations, les plaintes qui lui parvenaient de toutes parts, se trouvant d'ailleurs dans la nécessité de tirer des troupes de l'armée de l'Ouest pour les envoyer aux frontières, se détermina à ôter le commandement au général Turreau. Il fut suspendu, mandé à Paris; mais une volonté dominante, celle de Robespierre, si l'on en croit Carnot, le fit remettre en service comme général divisionnaire commandant Belle Ile."

En quittant la Vendée, Louis Marie TURREAU y laisse :

la trace sanglante

le trajet des colonnes de turreau

Carte établie par l'auteur à partir de la documentation qu'il a réunie

Le 17 mai 1794, Vimeux, qui jusqu'alors commandait aux Sables d'Olonne est nommé Général en Chef de l'Armée de l'Ouest qui est réorganisée.

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