de Cholet le 12 pluviose an II (31 janvier 1794)
Le Général en Chef TURREAU au Comité de Salut Public

 J'espérais il y a huit jours pouvoir, sous peu, disposer d'un certain nombre de troupes pour une autre armée; je calculais d'après les données différentes des officiers généraux sur la faiblesse des moyens et des ressources de nos ennemis.... La guerre de la Vendée était disait-on finie les brigands anéantis sur la rive droite de la Loire, le corps commandé par Charette entièrement dispersé.

 Westermann après avoir détruit jusqu'au dernier des quatre-vingt mille combattants avait du terminer ses exploits par la mort de la Rochejacquelein j'étais loin cependant de croire à tant de victoires. Les mesures que j'ai résolu de prendre étaient la preuve de ma juste incrédulité. Les renseignements que j'ai pris n'ont fait que justifier mes pressentiments et je suis fâché d'être obligé d'accuser du mensonge le plus impudent ceux qui ont osé vous tromper ainsi.... Quant à moi je dois à la vérité de vous dire qu'il existe encore des rassemblements nombreux; à la tête desquels sont La Rochejacquelein, Stofflet et Charette; ce dernier qui n'a été que légèrement blessé à l'épaule commande dit-on une horde de trois mille hommes assez mal armés. . . Croyez que si l'on retirait les forces qui me sont nécessaires pour exécuter le plan que j'ai conçu, cette guerre renaîtrait au printemps et le projet des chefs était bien d'employer l'hiver à se reposer. Sous ce rapport je suis loin de craindre que ces rassemblements se joignent et forment une masse imposante alors je serais sûr de les trouver, de les battre et de les écraser ;... mais au contraire disséminés comme ils le sont il est infiniment difficile de les poursuivre encore plus de les atteindre par la connaissance parfaite que ces coquins ont du pays : ils échappent à la surveillance la plus active se cachent au fonds des forêts, filent imperceptiblement entre les colonnes, et viennent inquiéter nos derrières. Changés en voleurs de grand chemin les routes étant interceptées la correspondance devient infiniment difficile...

J'ai pris toutes les précautions nécessaires pour qu'ils ne pussent obtenir le plus léger succès. Il faut craindre de redonner du courage à leur parti. J'ai défendu qu'on place aucun poste écarté facile à battre partiellement.... J'ai renvoyé sur les derrières tous les canons; je n'en ai laissé qu'aux postes capables d'en assurer la conservation.

 Nos colonnes continuent toujours leur marche; j'ai fait passer au fil de la baïonnette tous les rebelles épars qui n'attendaient que le nouveau signal de la rébellion. On a incendié les métairies, les villages, les bourgs; elles étaient remplies de pain qu'on paraissait cuire à l'avance pour substanter à son passage l'armée catholique et l'on disait qu'ils étaient dénués de tout tandis qu'ils n'eussent manqué de rien sans les mesures que j'ai prises !.... On ne peut concevoir l'immensité de grains et de fourrage qu'on a trouvé dans ces métairies et cachés dans les bois. J'ai donné les ordres les plus précis pour que tout soit enlevé de ce maudit pays et porté dans les magasins de la République. Il en est parti ce matin un convoi tenant plus d'une lieue et demie, et je puis vous attester que les ressources qu'offrent ces découvertes sont incalculables; elles seraient encore plus considérables si les préposés aux subsistances et commissaires de district avaient mis plus dactivité dans leurs opérations.

Haxo vient à ma rencontre sur plusieurs colonnes; il connaît mes dispositions les seconde parfaitement et j'ai lieu d'espérer qu'enfin tous les corps de rebelles seront dissous encore plus par l'impossibilité de subsister que par la force des armes.

Il résulte de ces détails qu'il m'est impossible de disposer aussitôt d'autant de troupes que je l'avais pensé.... Malgré les trois brigades que j'ai envoyées à Rossignol, il me demande encore quatre mille hommes pour une expédition importante; je ne puis accéder à sa demande, je ne connais rien de plus important que le plan qui doit terminer la guerre de la Vendée.... Elle n'est point finie cette malheureuse guerre. Je vous l'avais bien dit qu'il existait encore de grands coups à porter.

 Gardez-vous surtout citoyens Représentants de croire que je puisse chercher à prolonger le pouvoir dont vous m'avez investi. L'intérêt public est mon unique but et si tout autre que moi peut être plus utile au poste que j'occupe je renoncerai sans peine à un grade que je n'ai point demandé et dont je n'ai jamais plus senti les désagréments qu'aujourd' hui. L'éloignement des Représentants en est une des principales causes. J'ai été contraint dans une opération aussi importante de tout prendre sur ma responsabilité; je n'ai pas même eu l'avantage de recevoir votre approbation et je compromettrais la réussite de mon projet si j'attendais pour agir que je l'eusse obtenue... Cruelle alternative !... mais qu'importe j'ai fait ce que j'ai cru devoir faire; ma conscience n'a rien à se reprocher et je ne doute point que vous ne rendiez justice à la pureté de mes intentions.

Au moins citoyens Représentants répondez à cette dépêche. Faites-vous représenter mes précédentes lettres, jugez de ma position, de celle du genre d'ennemis que j'ai à poursuivre et donnez-moi les conseils dont j'ai le plus pressant besoin.

Je commence à réunir une grande quantité d'argenterie; je me dispose à vous l'adresser avec la liste des officiers qui m'ont remis généreusement ces divers objets.

J'apprends à l'instant que la blessure de Charette l'a forcé à rester caché dans une métairie; je vais tout faire pour le découvrir.

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