CONVENTION NATIONALE
Séance du 24 pluviose an II
(12/2/1794)

Un membre [BARERE] a la parole au nom du comité de salut public; il expose l'état de la Vendée

BARERE, au nom du comité de salut public,

Citoyens, le comité de salut public me charge de vous parler encore aujourd'hui de la Vendée, non pour vous donner des alarmes, comme certains patriotes timides; ni pour vous inspirer des craintes sur sa résurrection, comme certains politiques imprudents; ni pour la faire renaître de ses cendres, comme certains intrigants qui alimentent sourdement le parti de l'étranger.

On voudrait bien qu'elle ne fût pas finie, cette guerre de la Vendée; on le voudrait pour rallier les intérêts et les forces du cabinet des coalisés du dehors, pour le succès des cabinets des intrigants de l'intérieur.

On voudrait bien que la Vendée relevât encore sa tête hideuse pour tourmenter la Convention nationale, pour agiter de terreurs le peuple français, pour réchauffer les espérances criminelles de nos aristocrates, pour servir les ministres de Londres, pour faire oublier les grands succès des républicains, pour altérer et vexer l'opinion publique.

Si, dans l'histoire de notre révolution, quelque chose peut ressembler à l'hydre de la fable, c'est la Vendée. C'est en vain que l'Hercule révolutionnaire a abattu les cent mille têtes; elles remuent encore; elles distillent au loin un venin dangereux; mais ce qui manquait à la fable, c'est le tableau des intrigues, des erreurs, des fautes, des crimes qu'on peut imputer à ceux qui ont été chargés de purger la Vendée.

A peine le siège de cette maladie politique fut changé, que les républicains s'empressèrent, à travers les ,succès et les doutes, d'effacer du territoire cette population royaliste.

Granville, Angers, Le Mans, Chantonnay, la Loire même, furent les vastes tombeaux des rebelles.

Depuis, les triomphes de nos armes sur Bouin, Noirmoutier, et les restes infects de l'armée de Charette durent rassurer les esprits, et la République reprenait en même temps des forces sur les bords de la Méditerranée et du Rhin.

Les troupes nationales n'avaient plus qu'à évacuer les subsistances de la Vendée, en comprimer l'effroyable population née pour la révolte, en désarmer les habitants, et y former une administration militaire et révolutionnaire jusqu'à la paix.

Il fallait ensuite y porter de la cavalerie propre à exterminer les brigands, faire passer aux Pyrénées une partie de l'artillerie inutile ou plutôt dangereuse, et transporter sur les bords de l'Océan une grande partie de l'infanterie.

Ces diverses vues ont été remplies par le comité de salut public, et il se reposait, pour leur exécution, sur la gloire que les généraux avaient obtenue en détruisant les rebelles, et encore plus sur la volonté constante de la Convention, de faire obéir aux mesures du gouvernement national. Il se reposait surtout, pour les mesures de l'intérieur de la Vendée, sur l'esprit et les termes des décrets qui ordonnent de détruire et d'incendier les repaires des brigands et non pas les fermes et les demeures des bons citoyens.

Il espérait surtout que l'armée de l'Ouest, fidèle aux maximes et aux ordres du gouvernement national, ne disséminerait jamais ses forces, et s'occuperait bien plus de détruire le noyau des rebelles et les rassemblements des brigands qui pouvaient se former de nouveau, que de sacrifier les habitations isolées, les fermes utiles et les villages fidèles ou non dangereux.

Cependant, lorsque le comité, après quelques jours de silence, a voulu vérifier les faits, et connaître quelle était la véritable exécution donnée à ses arrêtés, quel a été son étonnement de voir des forces morcelées dans la Vendée, des troupes républicaines disséminées sur les divers points de la Vendée; des rassemblements de brigands se reformer s'organiser et relever une tête insolente; et la troupe royaliste, éparse et fugitive naguère sous les ordres de La Rochejacquelein, de Stofflet et de Charrette, s'ameuter et se grossir de tous les mécontents que la barbare et exagérée exécution des décrets avait formés de nouveau dans un pays qu'il ne fallait plus que désarmer, garnisonner de cavalerie, repeupler d'habitants fidèles, et administrer avec le bras nerveux d'une administration militaire et révolutionnaire !

L'effet inévitable de ce morcellement de forces a produit l'audace des rassemblements de brigands; ils ont fait des attaques vers Beaupréau, Montrevault et Saint-Fulgent.

Les moyens pris pour prémunir nos différents postes étaient insuffisants par le morcellement des forces. Quelques-uns de nos soldats n'ont pu se défendre de la terreur des brigands qu'ils ont été si longtemps accoutumés à vaincre; et, quoique 6.000 brigands aient été tués depuis dix jours, cela ne dédommage point de la perte de quelques bons républicains et du général Moulins, dont le général en chef et l'armée célèbrent le courage et qu'ils honorent des plus vifs regrets.

Ici, il me semble que les intrigants reprennent haleine, que les amis de la Vendée, ou ceux qui en ont regretté l'anéantissement, recouvrent leur horrible espérance. Mais qu'ils apprennent que nos troupes ont défendu courageusement Cholet quoique ce soit un poste difficile, et plus commode pour les succès des brigands que pour la défense des républicains. Qu'ils apprennent que déjà la faute des généraux est sentie et réparée, que leurs forces se rassemblent et s'agglomèrent pour abattre les derniers rassemblements de brigands, et pour rendre raison à la convention nationale de ces débris vendéens, de ces repaires de royalistes, et de ces rebelles dont l'espoir et l'existence doivent disparaître entièrement, au moment de l'ouverture de la campagne prochaine qui va s'engager avec les tyrans et leurs satellites.

Depuis trois jours, le comité s'est occupé de terminer cet objet dont il n'aurait plus dû entretenir l'assemblée des représentants; mais le cri de l'intérêt personnel, l'avarice du propriétaire de la Vendée, n'a pas manqué d'exagérer par la plainte les dommages causés par l'exécution des décrets, et de grossir par leurs propos les rassemblements et les nouvelles tentatives des brigands.

Les représentants du peuple, à qui nous devons avant tout un tribut de reconnaissance pour les immenses travaux qu'ils ont faits et les succès qu'ils ont obtenus dans cette exécrable guerre, sont accablés de fatigue et de maladie. Bourbotte est dans son lit, accablé d'une fièvre putride; Turreau est exténué de fatigue; Francastel est malade.

Le Comité a envoyé vers l'armée de l'Ouest les citoyens Garrau et Hentz, avec des pouvoirs illimités, des instructions, de nouveaux moyens, et des arrêtés du comité, auxquels les généraux devront enfin se conformer. Nous espérons que dans quelques jours les inquiétudes nouvelles seront dissipées, et que nous n'aurons de sollicitudes et de soins à donner qu'à nos armées sur les frontières.

Mais, avant de terminer, il n'est pas inutile de jeter un regard rapide sur les causes de ces nouveaux mouvements, et sur les mobiles de ces attaques nouvelles d'un ennemi intérieur réduit aux abois par des victoires multipliées. Il faut enfin poser un système de force centrale, et se serrer les uns contre les autres au moment d'une attaque combinée des tyrans coalisés; c'est alors que les succès seront assurés.

Nos maux sont la tendance perpétuelle au morcellement des forces, tendance que la convention a toujours condamnés, que le comité a toujours empêchée, et que les généraux ont toujours exécutée.

Nos maux sont le non-désarmement des pays fanatisés ou révoltés, ou le réarmement des pays qui ont été le théâtre de la guerre civile. Westermann, qui, dans son discours à la barre, a annoncé qu'il avait exterminé tant de milliers de brigands, est celui qui a amoncelé les armes dans les communes où avaient péri les brigands, et qui a réarmé des paysans fanatiques ou imprégnés de rébellion.

(Il sera fait un rapport sur ce général.)

Nos maux sont une représentation trop disséminée, trop prodiguée dans les départements; les autorités constituées sans énergie, les administrateurs sans courage, et les mesures des représentants sans unité et sans ressemblance.

Nos maux sont des contradictions perpétuelles des petites passions usurpant la place de la grande passion du bien de la patrie.

Nos maux sont dans un gouvernement trop contrarié dans ses mouvements, trop souvent attaqué dans ses opérations, trop mal défendu, trop peu soutenu dans ses travaux constants, trop inexécuté dans ses arrêtés, et dont les violations sont trop impunies.

Plus la tempête est forte, plus la main qui tient le gouvernail doit être vigoureuse et soutenue.

Voilà le moment où toutes les contradictions inutiles ou passionnées doivent cesser, où l'unité des vues et l'accord des moyens doivent se faire sentir.

Laissons à deux de nos collègues à terminer les petites oscillations de la Vendée; l'agonie de quelques brigands ne peut pas arrêter un instant la marche du législateur. Nous vous proposons de confirmer l'envoi et les pouvoirs de ces deux représentants du peuple.

Nous vous proposons encore d'honorer d'une pierre et d'une inscription le tombeau du général Moulins. Pour ne pas tomber entre les mains des royalistes, il s'est tué. Voilà quelles devraient être la pensée et la détermination de tout soldat républicain : La victoire ou la mort. Les Romains ne rachetaient pas les prisonniers. Ils condamnaient à la mort ceux qui avaient abandonné leurs armes dans le combat. Elles devaient leur servir à demeurer libres, même dans une déroute, c'est-à-dire, à mourir.

Renforçons par des monuments honorables cet exemple de Moulins, ce sentiment républicain né de la honte de tenir la vie d'un brigand et d'un rebelle. C'est causer du déshonneur à la République, que de renoncer à être libre pour se faire esclave d'un ennemi de sa patrie

BARERE. Voici les nouvelles.

Il fait lecture :

1° d'une lettre de Francastel représentant du peuple, datée d'Angers . [Elle] annonce de légers échecs de la part des troupes françaises, et le massacre de 6.000 brigands. La garnison de Cholet forte de 3 000 hommes, s'est défendue courageusement dans cette place qui n'est pas terrible, contre toutes les forces de la Vendée, commandées par La Rochejacquelein et Charrette; enfin les Français se sont déterminés à une retraite glorieuse, la garnison se rend à Angers; celle de Saumur est très nombreuse, et si les brigands en approchent, ils y trouveront la mort (Applaudissements.)

2° d'une lettre du général Turreau, datée du quartier général à Nantes. [Elle] annonce que les brigands sous le commandement de La Rochejacquelein, ont osé attaquer les Français à Tiffauges, la plupart de ces monstres étaient sans armes; aussi on en a fait un si grand carnage que le nombre de leurs morts n'a pas pu être compté. Au milieu de cette action éclatante quelques lâches ont pris la fuite, le jeune général Moulins a voulu les arrêter, mais ayant été frappé d'une balle, il s'est vu dans la nécessité de se donner la mort pour ne pas tomber vif au pouvoir des brigands .

3° enfin, d'une lettre des représentants du peuple, reçue ce matin. La voici:
[Saumur, 21 pluv. II. Au C. de S.P.]
«Nous ne croyions plus, citoyens collègues être obligés de vous entretenir de l'exécrable Vendée. Nous pensions que l'armée victorieuse qui allait parcourir une seconde fois cette malheureuse contrée, n'aurait plus qu'à immoler aux mânes de nos frères quelques hordes vagabondes, et que ce pays, purgé totalement des scélérats qui l'infestaient, serait rendu à la république. Nos troupes exterminaient à chaque pas les brigands épars qu'elles rencontraient elles faisaient refluer sur les derrières les subsistances abondantes que le pays offrait; une quantité considérable de grains est déjà entrée dans les murs de cette ville. Depuis quelques jours, les choses ont changé de face, sans néanmoins présenter un aspect inquiétant. Quelques-unes de nos colonnes ont été repoussées par les brigands, qui sont parvenus à se réunir au nombre de 3 à 4.000. Nous nous empressons de vous en instruire, parce que les malveillants, toujours prêts à tirer parti de nos plus légers revers, ne manqueraient pas de chercher à les grossir dans l'opinion publique. Nous devons espérer que cet état de choses ne durera pas longtemps, et que nos légions républicaines, indignées de l'avantage que vient d'obtenir ce vil ramas de brigands, ne tarderont point à se venger.
«Nous regrettons bien que le mauvais état de notre santé nous ait pas permis de suivre l'armée dans ses expéditions. Bourbotte est retenu au lit par une fièvre putride; il est heureusement hors de danger. Moi, valétudinaire depuis un mois, hors d'état de monter à cheval, par les suites d'un accident très grave, je suis obligé d'être continuellement dans les remèdes. Nous sommes ainsi réduits l'un et l'autre à la dure nécessité de ne pouvoir dorénavant suivre de près et surveiller les opérations ultérieures de l'armée. Néanmoins nous venons d'écrire à nos collègues, plus à portée que nous de correspondre avec les généraux, de se faire rendre un compte très exact des opérations. Nous pensons, citoyens collègues, qu'il serait convenable, en tout état de choses, que vous proposiez à la Convention l'envoi de deux nouveaux commissaires auprès de l'armée de l'Ouest. Quand nous lui avons écrit que cinq représentants, auprès de cette armée, devenaient inutiles, nous attendions de jour en jour Pinette aîné, qui ne s'est point encore présenté; et nous étions bien loin de présumer que les restes impurs du fanatisme et du royalisme pussent encore acquérir quelque consistance.
«Salut et fraternité»
Signé: TURREAU. (conventionnel, cousin du Général en Chef)

BARERE propose, et la Convention rend le décret suivant.

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